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d’une sécurité renaissante, l’alerte est venue d’un autre côté, à l’improviste. Cette fois, c’est une affaire de frontière, ou, pour mieux dire, une très délicate affaire d’arrestation sur la frontière lorraine; c’est l’incident de Pagny-sur-Moselle qui est venu renouveler l’épreuve des agitations d’opinion, remettre brusquement en présence les susceptibilités nationales promptes à s’émouvoir, les gouvernemens eux-mêmes devant le monde surpris et attentif.

Comment les choses se sont-elles passées réellement d’ans cette malencontreuse et pénible affaire, qui, une fois de plus, met pour ainsi dire brutalement à nu une situation difficile ? Dégagé de tous les commentaires, de tout ce qui peut le compliquer ou le dénaturer, l’incident par lui-même n’aurait eu sans doute qu’une importance relative et limitée s’il n’y avait des circonstances où tout s’aggrave et s’envenime d’un instant à l’autre. Prenons les faits pour ce qu’ils sont. Il y avait depuis bien des années, à Pagny-sur-Moselle, un commissaire de surveillance français, M. Schnæbelé, vieux et fidèle fonctionnaire, accoutumé au service de frontière, habile à remplir ses devoirs de sentinelle avancée, et qui, par cela même, était visiblement devenu dans ces derniers temps suspect aux autorités allemandes. Il avait été, paraît-il, enveloppé dans des poursuites dirigées par la cour de justice de Leipzig pour des faits qui se seraient passés dans l’Alsace-Lorraine, et il aurait même été, dit-on, sous le coup d’un mandat d’arrestation dans le cas où il pourrait être saisi sur le territoire allemand. Le savait-il lui-même? Connaissait-il la position délicate qui lui était faite? Toujours est-il que récemment, à la veille du 20 avril, il recevait pour la seconde fois de son collègue allemand, commissaire comme lui d’un poste voisin, un rendez-vous officiel sur la frontière pour une affaire de service commun. M. Schnæbelé n’hésitait pas à se rendre à l’appel qui lui était adressé; au moment voulu, il était à la limite, — Et c’est ici que le petit drame de Paguy se précipite. Peut-être le commissaire français, en attendant son collègue qui ne paraissait pas et qui n’a jamais paru, s’aventurait-il à quelques mètres sur le territoire allemand, lorsqu’il se voyait tout à coup assailli par deux agens jusque-là invisibles, qui se jetaient sur lui, remplaçant d’une étrange façon leur chef absent. Vainement il se débattait et il réussissait même un instant à se replier à l’abri de la frontière : il n’était pas moins poursuivi sur le territoire français, terrassé, garrotté et traîné prisonnier à Metz, où il est resté jusqu’à ces derniers jours. C’est là le fait simple et avéré. A peine l’arrestation de M. Schnæbelé dans ces conditions a-t-elle été connue, l’émotion, on le comprend, a été aussi vive que profonde sur la frontière, et de là elle a gagné avec une rapidité électrique la France entière. L’affaire s’est trouvée naturellement portée aussitôt devant les gouvernemens, et