Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/297

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Italie, il n’était guère possible de s’élever, du soir au lendemain, à ce rôle suprême de médiateur ; d’Argenson devait donc, bon gré mal gré, laisser ses projets tout rédigés en portefeuille et ajourner l’expression complète de ses idées. Il n’en tint pas moins à signaler son avènement par un certain nombre de déclarations solennelles, rendues sous forme sentencieuse, qui étonnèrent un peu les gens du métier. C’est ce qu’il nous raconte lui-même. J’ai tort de dire lui-même, car ce n’est pas lui, c’est son secrétaire, qui, dans un rapport à lui adressé, a soin de lui rappeler quelles furent ses premières paroles à ce moment solennel de son existence.

Je ne sais, en effet, si c’est pour ressembler davantage à Sully que d’Argenson, à cette date de son journal, croit devoir recourir au procédé de composition employé par le ministre d’Henri IV dans ses Économies royales, et qui consiste, comme on sait, à se faire raconter par des serviteurs bien appris les faits et gestes de sa propre administration. Et au fait, pour un homme politique qui veut faire connaître sa vie à la postérité, ce détour n’est peut-être pas sans quelque avantage ; c’est un moyen ingénieux de se décerner à soi-même, par un intermédiaire dont on est sûr, des témoignages d’approbation et même des hommages d’admiration qui, exprimés sous la forme directe et à la première personne, pourraient paraître trop dénués de modestie. Laissons donc parler un moment le client, fidèle interprète de la pensée de son patron.

« La première vue que vous vous proposâtes, dit-il, ce fut de rétablir cette réputation de bonne foi et de candeur qui ne devrait jamais abandonner notre nation. La couronne de France est aujourd’hui trop grande, trop arrondie, trop bien située pour le commerce, pour préférer encore les acquisitions à la bonne réputation : elle ne doit plus viser qu’à une noble prépondérance en Europe, qui lui procure repos et dignité. Toutes nos maximes politiques devraient se réduire aux plus justes lois de la morale et de la générosité, de relever les faibles, d’abaisser les tyrans, de faire du bien, d’empêcher le mal, de ne faire aux autres que ce que nous voudrions qui nous fût fait à nous-mêmes ; enfin, de ne régner en Europe que par la justice et par les bienfaits. Il est démontré que, par là, la France parviendrait à une grandeur et à une abondance dont il y a peu d’exemples dans le monde. Rempli de ces maximes, vous ne les ayez pas assez dissimulées, vous allâtes peut-être jusqu’à l’exagération. Le siècle et la nation n’y sont point encore accoutumés, et l’on prit facilement pour manque d’habileté ce qui n’était que le fruit de profondes réflexions… Autre scandale pour les courtisans : vous souteniez qu’il n’y avait point ou qu’il n’y avait que peu de mystères d’état ; .. vous prétendiez qu’on pouvait négocier