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Bussy, le dernier envoyé qui eût représenté la France en Angleterre. Bussy resta évidemment un peu surpris du ton incohérent et disparate de ce mélange de satire et d’idylle. Il annota la pièce avec soin, signalant plusieurs erreurs de faits et de chronologie qui ne pouvaient manquer d’être relevées par des publicistes allemands et auraient trahi l’origine de la composition, puis il résuma son jugement par ces deux notes mises, l’une en tête et l’autre en queue du manuscrit : « Ce mémoire est du poète Voltaire ; c’est une vraie capucinade politique[1]. »

A travers ces inconséquences, les tendances pacifiques de d’Argenson s’étaient pourtant manifestées avec assez d’éclat pour que le roi, qui s’en amusait, dit volontiers qu’il avait dorénavant deux d’Argenson dans son conseil, le d’Argenson de la guerre et le d’Argenson de la paix. On peut donc s’étonner que le jour où la vacance du trône impérial faisait disparaître le principal objet du conflit européen et offrait un moyen naturel de le terminer, d’Argenson n’ait pas été de ceux qui bénirent cet événement providentiel et se montrèrent pressés de répondre à cet appel de la fortune. Il y a d’autant plus lieu d’en être surpris qu’on peut voir, par son journal, qu’au début même de la guerre, il avait été du nombre des censeurs les plus sévères du cardinal de Fleury, auquel il reprochait amèrement d’avoir compromis la bonne renommée de la France en manquant aux engagemens pris envers la succession autrichienne. Le moment devait donc lui paraître tout à fait opportun pour réparer la faute commise, puisqu’il n’était même plus besoin d’en faire pénitence. Il n’en fut rien cependant : on chercherait vainement dans les premiers écrits qui portent la signature de d’Argenson une indication quelconque d’où on puisse conclure qu’il ait aperçu la voie nouvelle qui s’ouvrait devant lui et encore moins qu’il ait eu la tentation d’y entrer. Rien de plus confus, de plus contradictoire que les premières instructions qu’il envoie après l’événement imprévu de Munich. Là où on chercherait le coup d’œil et la décision de l’homme d’état, on ne trouve que l’émotion d’un esprit systématique arrivé aux affaires plein de confiance dans ses théories, et qui se trouve jeté à l’improviste dans la mêlée confuse de complications pratiques qu’il n’avait pas même soupçonnées ; c’est l’éblouissement d’un solitaire qui sort de l’obscurité, et que les jeux inattendus de la lumière aveuglent au lieu de l’éclairer. Toutes les difficultés sont soulevées, aucune n’est résolue. Ce sont des questions qu’il pose et non des indications qu’il donne. L’union de Francfort peut-elle subsister quand

  1. Correspondance d’ Allemagne. — Diète de Francfort, décembre 1744. (Ministère des affaires étrangères.)