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encouragée pour se produire au jour. Quelques mots de Valori sur les velléités qui avaient paru traverser un instant l’esprit de la reine, — l’attitude confiante du ministre saxon à Versailles, qui, fidèle au mot d’ordre du père Guarini, laissait volontiers entendre que tout le monde aurait besoin de son maître, et qu’on viendrait à lui sans qu’il eût besoin d’aller chercher personne, — ce furent là autant d’indices dans lesquels il crut voir ce qu’on n’osait pas dire tout haut, et, bien loin d’écouter aucun avertissement, ce fut lui qui crut pouvoir en remontrer à son agent et lui assurer qu’il avait mal jugé et trop vite désespéré de sa cause. « Il paraît clairement, lui écrivait-il (cet adverbe dut un peu étonner Valori), que le prince, la reine son épouse, sa famille et ses ministres sont touchés de l’ambition de la couronne impériale, et vous avez plus fait et vous nous avez fait plus connaître sur ce point que vous ne l’avez pensé vous-même. Dès qu’une fois ils se flattent de l’espoir séduisant de cette dignité, on peut compter que cet espoir, nourrissant les désirs et les faisant croître tous les jours, les engagera en même temps à en aplanir les obstacles, surtout quand ces obstacles ne sont que volontaires et fondés uniquement sur des vues de rancune et de ressentiment… Qu’il sera beau, dit-il encore, d’être à la fois empereur et pacificateur ! Le roi de Pologne n’a qu’à parler, il n’aura plus d’ennemis, il régnera par amour et non par la force des armes. » Enfin, à Chambrier, qui restait froid en face de tant d’optimisme : « Croyez-vous donc, lui disait-il, que le roi de Pologne renonce volontairement à être empereur ? Je ne le croirai pas que je ne le voie[1]. »

En conséquence, et pour achever la tâche que Valori, trop vite découragé, s’était trop pressé d’abandonner, d’Argenson décida de dépêcher coup sur coup deux nouveaux députés à Auguste III, d’abord le ministre qu’il envoyait en Russie, le comte de

  1. D’Argenson à Valori, 1er-5 mars 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Chambrier à Frédéric, 15 mars 1745 — Flassan, Histoire de la diplomatie française, t. V, p. 200 et suiv., donne encore, à cette date du mois de mars 1745, l’extrait de plusieurs pièces que je n’ai pas trouvées au ministère des affaires étrangères. C’est en premier lieu un mémoire du marquis d’Argenson adressé au roi de Pologne pour indiquer les conditions auxquelles la France consentirait à la paix et engager Auguste III à se joindre à elle pour les obtenir, en lui promettant en même temps d’appuyer sa candidature à l’empire. Viennent ensuite deux réponses évasives d’Auguste III et une seconde dépêche plus pressante de d’Argenson. Toutes ces pièces ont dû être communiquées, soit par le maréchal de Saxe à son frère, soit par d’Argenson lui-même au ministre de Saxe à Versailles. J’ignore encore ici de quelle source M. Flassan les tenait ; aussi ai-je hésité à m’en servir, bien que je reconnaisse qu’elles présentent un grand caractère d’authenticité. Les lettres de d’Argenson en particulier ont bien le cachet particulier de son style et de son tour d’esprit.