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L’ARMÉE ROYALE EN 1789.

digne de considération[1], malgré le peu d’estime dont jouissait un corps d’officiers peu scrupuleux sur le chapitre de l’honneur professionnel[2].

Quant à l’Angleterre, peu redoutable sur terre par elle-même, à cause de la dispersion de ses troupes réglées dans ses nombreuses colonies, il lui était toujours loisible de recruter contre nous en Allemagne et même en Russie.

Loin d’avoir conservé son ancienne prépondérance numérique, la France n’avait donc plus, — Ces chiffres le montrent, — que le troisième rang parmi les puissances. Après avoir donné, un siècle auparavant, l’exemple des plus grands armemens qui se fussent encore vus, elle s’était tout à coup arrêtée dans cette voie, pendant que l’ancienne Europe continuait à marcher et que la nouvelle se constituait. Grave imprudence. On l’avait bien vu lorsque, en 1784, Joseph II avait été sur le point d’envahir les Provinces-Unies : on venait de le voir plus nettement encore au sans-gêne avec lequel la Prusse était intervenue dans ce même pays pour y rétablir le stathouder, chassé par une révolution que nos agens avaient encouragée et que nos troupes elles-mêmes avaient secrètement soutenue[3]. Grave, si l’on songe qu’en cas de nouvelle guerre maritime, le roi se fût trouvé dans la nécessité de consacrer une partie de ses forces de terre vingt bataillons au moins) à la défense des colonies ; une autre portion (40,000 hommes environ) à la protection des côtes de Dunkerque à Antibes, en y comprenant la Corse; une troisième enfin (18,000 hommes), à la garnison de nos soixante-quatre vaisseaux de ligne, chiffre prescrit par les dernières ordonnances sur la réorganisation de la marine[4]. Grave enfin et surtout en ce que ni l’état des finances ni celui de l’opinion, déjà fort agitée, ne permettaient de songer à l’armée, si ce n’est pour la réduire. En 1787, les dépenses de la guerre s’élevaient encore à 115,600,000 livres[5] ; pour 1789, elles ne se montent plus, par suite des économies de Brienne et du conseil de guerre, qu’à 96,883,645 livres.

Par bonheur, la puissance militaire d’un pays ne se mesure pas au nombre d’hommes qu’il entretient sous les drapeaux, et ce n’est

  1. Favier en fait grand cas surtout au point de vue des ressources en tout genre qu’offrait le royaume.
  2. Voir Ségur, II, p. 369.
  3. Plusieurs détachemens d’artillerie française avaient été incorporés dans les troupes des états-généraux. (Voir Susane, Histoire de l’artillerie.)
  4. J’emprunte tous ces chiffres au précieux mémoire de Guibert sur les opérations du conseil de la guerre.
  5. D’après les états remis aux notables. (Voir Grimoard, I, p. 342.)