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Le recrutement des troupes provinciales différait complètement de celui des troupes réglées. Il se faisait par la voie du tirage au sort. On n’était pas arrivé de prime abord à cette procédure. Dans le principe (ordonnance du 29 novembre 1688)[1], c’était aux paroissiens rassemblés le dimanche après la messe qu’avait été dévolu le choix des miliciens. Mais Louvois était trop bon administrateur pour ne pas apercevoir les inconvéniens d’un système qui laissait une si large part à l’arbitraire, à la cabale et à toutes les petites tyrannies locales. Aussi, l’année même de sa mort, en 1691, avait-il soumis à la signature du roi une nouvelle ordonnance qui substituait le sort au choix[2]. C’est de là que date l’introduction en France d’un mode de recrutement qui devait durer autant que l’ancien régime.

Aucune institution n’était plus juste, plus raisonnable, mieux faite pour répondre aux instincts égalitaires qui travaillaient déjà sourdement l’armée française ; aucune pourtant n’a été plus impopulaire ni plus décriée. L’explication de ce phénomène est assez simple. Si le tirage au sort avait été pratiqué comme il l’est aujourd’hui, de façon à peser du même poids sur toute la population valide, il est probable qu’il n’eût pas soulevé tant de résistances et de colères. La masse de la nation n’a jamais été très belliqueuse en France, mais elle a toujours fort bien supporté les charges communes. Malheureusement ni l’ordonnance de 1691, ni les ordonnances subséquentes, notamment celle de 1726, qui acheva l’organisation des milices, n’avaient imprimé ce caractère égalitaire à l’institution. Tout au rebours, elles avaient laissé subsister beaucoup d’exemptions et d’immunités. Ainsi, jusqu’en 1743, un grand nombre de villes, Paris tout le premier, ne fournirent pas de levées. A dater de cette époque, elles y participent, il est vrai, mais beaucoup sont dispensées du tirage au sort et autorisées à recruter, comme les régimens, au moyen d’enrôlemens volontaires à prix d’argent[3].

  1. Cette ordonnance, œuvre de Louvois, peut être considérée comme l’ordonnance constitutive des milices. Depuis des siècles, sans doute, elles existaient, mais à l’état d’expédient passager et local. (Voir Gébelin, Histoire des milices provinciales.) « Un danger pressant survenait-il? on armait à la hâte les populations de la région menacée ; on improvisait des soldats, des officiers, des compagnies, des régimens. Les officiers étaient choisis, les compagnies et les régimens étaient formés par les autorités locales Une fois le danger passé, soldats, compagnies, régimens disparaissaient. De cette organisation, il n’existait rien avant le besoin du moment, il ne demeurait rien après... Louvois en fit une institution générale. »
  2. Il est arrivé, dit cette ordonnance, dans plusieurs paroisses qui devaient fournir des soldats pour les milices, que les habitans, ayant la liberté de les choisir à la pluralité des voix, ont fait des cabales pour en exempter leurs parens et amis, et ont fait qu’elle est tombée sur ceux qui étaient le moins en état de servir.
  3. Parfois cette autorisation n’était que partielle : on l’accordait à certains corps de métiers seulement.