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qui se répètent et qui font souvent double, triple et même quadruple emploi. N’exagérons rien pourtant : si l’ancien régime dérogeait parfois à ses propres lois, celles-ci n’en sortaient pas moins, en général, presque tous leurs effets utiles. Ainsi de l’ordonnance de 1776 : les historiens de la révolution se sont à bon droit, et quelques-uns très éloquemment, élevés contre la vénalité des charges Seulement ils ont oublié de dire que le jour où la constituante l’abolit, la finance des régimens d’infanterie était déjà presque entièrement éteinte, et qu’elle ne subsistait plus que pour seize régimens de cavalerie[1]. C’était encore trop, sans doute ; mais ici comme en bien d’autres points, il n’est que juste de rendre à la monarchie la part qui lui revient dans cette grande réforme.

Avancement. — On lit dans l’Encyclopédie méthodique, au mot colonel : « Nos roys se sont réservés, dans tous les temps, le droit de confier le commandement des régimens aux personnes qu’ils ont jugé à propos de choisir. » Telle était, en effet, la tradition constante avant la révolution ; en fait d’avancement, le roi tranchait souverainement, sans autre règle que son bon plaisir. Il n’était tenu par aucune restriction ni condition ; l’armée n’avait d’autres garanties de la valeur de ses chefs que l’intérêt même du prince à lui en donner de bons ; car les ordonnances sur l’avancement n’étaient pas applicables à la Maison, et par cette voie la noblesse de cour était assurée d’obtenir d’emblée les premiers grades. Avec un roi laborieux, pénétré de l’importance et de la hauteur de ses fonctions, assez au-dessus même des plus hautes têtes pour ne pas subir ses entours et pour aller chercher ses serviteurs dans toutes les classes de la société, sauf à les élever ensuite par degrés ; avec un roi comme Louis XIV, dans la force de l’âge et servi par un ministre comme Louvois, cette prérogative sans limites n’était pas sans inconvéniens, sans doute, mais elle avait encore ses bons côtés ; et si l’armée française fut à cette époque et demeura pendant de si longues années la première de l’Europe, elle le dut certainement, pour une bonne part, à la personne royale. Tout au rebours, avec la Pompadour ou la Du Barry et sous un prince perdu de vices, mené par des catins et par des roués, l’absolue prépotence du souverain, en matière de gracies et d’avancement, ne pouvait qu’être désastreuse. Les documens contemporains sont pleins des plus justes doléances à cet égard.

« En confiant un régiment à des hommes de dix-huit à vingt ans,

  1. Rapport de Wimpfen à la constituante, (février 1791. Dans la milice, la vénalité n’avait jamais existé, les officiers étant nommés directement par le roi, sur la proposition des intendans d’abord et sur celle des chefs de corps à partir de 1765.