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renouveler à chaque campagne, et souvent à plusieurs reprises dans le cours d’une même campagne, les grands commandemens et de faire rouler les autres sur le plus de têtes possible. Détestable système, — on ne l’avait que trop vu dans les dernières campagnes, — destructif de la confiance qu’il faut que la troupe ait toujours en ses chefs, et qui avait pour effet certain d’avilir le commandement en le faisant passer par trop de mains, souvent inexpérimentées. Il n’y a qu’une voix aussi là-dessus au XVIIIe siècle. « Tel colonel d’infanterie devient maréchal de camp qui n’a jamais eu à commander pendant vingt-quatre heures ni à faire manœuvrer une troupe de 50 maîtres,» écrit, dans son Traité des légions, le maréchal de Saxe. Belle-Isle, dans sa correspondance avec Gisors, insiste à plusieurs reprises sur la quantité d’officiers-généraux « mal instruits, plus mal exercés, ne connaissant pas le soldat, à peine connus de lui en temps de guerre, jamais en temps de paix[1], » et sur la nécessité, » pour établir cette connaissance mutuelle et nécessaire, de maintenir à la tête de leurs régimens non-seulement les brigadiers, mais aussi les maréchaux de camp. » Dans cette même correspondance, il se plaint de l’abus du grade de colonel et du nombre excessif d’officiers subalternes. « Pour rétablir la discipline et la subordination de lieutenant à capitaine, il faudrait, dit-il, diminuer le nombre de ceux-ci. » Et l’on a vu plus haut ses efforts pour supprimer les colonels a la bavette. Il eût voulu de même réformer en grande partie les états-majors[2]. Le maréchal de Muy, Saint-Germain, travaillent dans le même sens : le premier réédite les prescriptions de l’ordonnance de 1759 relatives aux conditions d’âge et de service des colonels; le second en édicté de nouvelles et de plus sévères. Désormais, dans aucune troupe, aucun officier, fût-il de la plus haute naissance, ne pourra plus obtenir un régiment à moins de quatorze ans de service, dont six dans le grade de colonel en second. En outre, pour éviter l’encombrement sur le tableau des brigadiers et des maréchaux de camp, les colonels et mestres de camp n’y seront plus admis qu’après avoir exercé six ans au moins en temps de paix et trois en temps de guerre (ordonnance du 25 mars 1776). Une autre ordonnance du même jour supprime les emplois d’inspecteurs-généraux. Malheureusement toutes ces bonnes volontés, ce zèle et ces efforts partiels pour donner à l’armée royale une constitution et des cadres plus réguliers viennent

  1. Gisors, p. 361.
  2. Il s’est introduit depuis le commencement de cette guerre une si grande dissipation et facilité de dépenses de toutes les manières qu’il faudra nécessairement supprimer tous ces abus. Il est indispensable de retrancher une grande partie des officiers d’état-major et de revenir sur cet article à l’ancien pied. (Le maréchal de Belle-Isle à Broglie, 2 février 1760.)