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Nous dirions tout cela que nous n’aurions rien dit. Un chœur respectueux, presque religieux, répond à Lohengrin. Là encore, l’idée musicale est belle et se développe librement. Puis vient, toujours sur le thème du prélude, un admirable dialogue entre Lohengrin et Elsa : très peu de notes, mais toutes expressives ; pas d’éclats, pas d’écarts de voix, mais une force, une autorité souveraine chez Lohengrin, chez Eisa la soumission et la reconnaissance. À deux reprises, grave d’abord, puis à demi menaçant, Lohengrin exige d’Elsa la promesse de croire sans comprendre, et d’aimer sans connaître. Ce pacte d’amour et de foi est d’un grand maître ; tout cela est plein de sentiment et de passion, voilà bien cette fois la musique des âmes. Les préparatifs du combat, malgré de beaux dessins d’orchestre, traînent un peu ; le héraut abuse des proclamations. Trop longue aussi, malgré le puissant ensemble, la prière du roi rappelle celle de Sarastro dans la Flûte enchantée. Le duel est intéressant ; le finale, quoique un peu vulgaire, et au-dessous de certain chant de Tannhäuser, auquel il ressemble, est un éclatant finale d’opéra. Il termine bien cet acte, qui commence dans la tristesse et s’achève dans la joie, cet acte, magnifique en somme, où l’on voit que Wagner, lorsqu’il daignait faire de la musique comme tout le monde, en faisait comme personne.

Le second acte, exécuté intégralement, sans aucune des coupures réclamées et pratiquées partout, même en Allemagne, ce second acte dure une heure et demie. On passe en l’écoutant plus d’un mauvais quart d’heure, entre autres le premier. Ortrude et Telramund, le ménage de traîtres, sont assis la nuit sur les degrés de l’église, devant le château, et ils causent. Or les personnages de Wagner ont une terrible manière de causer. Il y a forcément dans un opéra, surtout dans l’opéra wagnérien, peu mouvementé, certains relâches d’action, certains vides dramatiques. Wagner les remplit avec les dialogues dont il a le secret, entretiens interminables, récitatifs mesurés et accompagnés. Accompagnés, ils le sont à ce point et si bien, qu’on voudrait imposer silence aux personnages et n’écouter que les instrumens. Jamais l’orchestre n’avait eu pareil rôle avant Wagner. Le maître de Bayreuth en a fait un être vivant, passionné ; toutes les voix humaines cèdent à cette grande voix impersonnelle qui ne se tait jamais. Même dans un duo aussi ennuyeux que celui-là, les timbres, les rvthmes sont prodigués avec une richesse, combinés avec une variété étonnante ; certain motif tortueux d’Ortrude se décompose sans cesse, reparaît, par tronçons, plus lent ou plus rapide selon que la haine s’apaise ou se ranime dans l’âme des traîtres. Mais, en dépit de ce travail, de ce talent, l’incohérence, le décousu du dialogue nous fatigue, la dureté des intonations vocales nous blesse ; Ortrude chante trop comme la Kundry de Parsifal, si cela peut s’appeler chanter. Et puis cette prééminence de l’orchestre nous déroute ; le renversement des rôles détruit l’équilibre