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Il s’agissait de savoir lequel des deux sentimens, de l’ambition ou de la peur, l’emporterait dans sa jeune âme, ou plutôt, des promesses de Chavigny ou des menaces de Marie-Thérèse lesquelles passeraient le plus tôt à l’exécution, et de quel côté les effets répondraient le mieux aux paroles.

Mais Marie-Thérèse était reine, unique et souveraine maîtresse de ses actions ; Chavigny n’était qu’un serviteur, écho très peu fidèle d’un monarque débile et d’un ministère partagé. Les lettres suppliantes qu’il avait fait écrire à l’électeur causèrent à Louis XV un instant d’émotion et firent une impression plus vive encore sur d’Argenson, très porté à mêler la sensibilité à la politique. Disposé d’ailleurs à croire à la sincérité des autres, parce qu’il avait conscience de la sienne, et surtout à celle de la jeunesse, qui était à ses yeux l’âge de la candeur et de l’innocence, le ministre ajouta une foi entière aux assurances de fidélité et de soumission dont Maximilien était prodigue : « Ce jeune homme est la droiture même, dit-il, et sa lettre est tout ce qu’on pouvait désirer. » — Mais cela dit, il se borna à donner en réponse quelques assurances vagues que le roi ne manquerait, de son côté, ni à ses devoirs, ni à ses promesses ; puis rien ne suivit, aucune mesure décisive ne fut adoptée, et du plan ferme que Chavigny promettait à ses alliés on n’aperçut pas la moindre trace. Loin de là, l’idée de ressusciter sous un titre et avec un objet différent l’union de Francfort fut très mal accueillie : elle paraissait de nature à resserrer des liens qu’il était peut-être heureux de dénouer, et à créer de nouveaux engagemens dont on pourrait plus tard regretter les conséquences. « Gardez-vous bien, écrivait d’Argenson, le 6 février, de vous livrer à des idées de nouvelle ligue, sous le prétexte apparent de maintenir la liberté de l’élection du futur empereur, ou pour tout autre objet que ce puisse être. L’essentiel est de faire bonne guerre : les succès nous conduiront au but que nous nous proposons, et de faibles alliés ne feraient qu’accroître nos embarras, si les événemens ne succédaient pas aussi favorablement que nous avons lieu de l’espérer. » — Par le même motif, et pour réserver toute la liberté de l’avenir, Chavigny recevait la défense d’entretenir chez l’électeur la moindre espérance de se voir promu à l’empire, et, en fait d’accroissement de son électorat, on ne lui permettait de prétendre qu’à la conservation des conquêtes faites par la France, à la suite de la prise de Fribourg, sur la rive autrichienne du Haut-Rhin[1].

En réalité, le plan que Chavigny appelait en secret de ses vœux,

  1. D’Argenson à Chavigny, 6 février. — Note autographe de d’Argenson, 15 février 1745. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)