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façons hautaines qui ne sont plus de saison. De là des discussions perpétuelles, des conflits, des querelles ; enfin, l’éternel antagonisme du civil et du militaire, aggravé de toute la force que le tiers commence à se sentir. Grave imprudence, et que l’armée paiera cher avant qu’il soit longtemps !

En attendant, et cette part faite à la critique, rien n’égale la bonté de ces cadres, si ce n’est la valeur et la solidité de celui des bas officiers. Bas, c’est encore ainsi qu’on les nomme, et le mot n’est pas heureux : avec les idées nouvelles, il est devenu choquant ; il a pris une acception humiliante qu’il n’avait pas dans le principe ; il marque trop les distances. Après l’ordonnance de Ségur, rien de plus impolitique et de plus dangereux. Viennent des troubles, et ces bas officiers se souviendront qu’ils sont peuple, que leur chair est faite de sa chair ; et quand leurs sous-lieutenans à quatre quartiers voudront les enlever, ils ne trouveront plus personne. Ce n’est pas que leur esprit soit déjà mauvais, ni le sentiment de la discipline affaibli chez eux : sortis du rang après plusieurs années de service, ils y ont pris l’habitude et le sentiment de la hiérarchie. Soigneusement choisis[1] parmi les meilleurs et les plus intelligens, à l’autorité que donne le grade ils ajoutent celle qui est le résultat d’une longue pratique. Ce ne sont pas de jeunes muscadins, comme on dira bientôt, arrivés de la veille au régiment, et n’ayant d’autre supériorité sur la troupe qu’un peu d’arithmétique et d’orthographe. La plupart sont de vieux soldats de huit ou dix ans au moins[2], ayant lentement et péniblement conquis leurs galons à force de patience et de mérite, tout à leur affaire, la sachant et la faisant consciencieusement ; aussi leur laisse-t-on beaucoup de latitude. C’est sur eux que roule tout le détail de service intérieur[3], et le temps n’est pas loin, — ils le savent bien, — où l’accès aux places d’officiers leur sera définitivement ouvert dans les troupes réglées comme dans la milice[4]. Déjà Saint-Germain, qui les a

  1. « Depuis la guerre de sept ans, dit Susane, un choix plus sévère préside à leur recrutement. »
  2. Voir, dans la Revue du 15 novembre 1885, le Brigadier Muscar.
  3. Susane.
  4. Ordonnance du 20 novembre 1726 : « Attendu, dit cette ordonnance, la conséquence dont il est que les moyens soient intelligens et que l’on puisse compter sur eux pour plusieurs années. »