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dit, ce qui manque à M. Cormon, c’est l’éclat décisif et dominateur, c’est l’exaltation radieuse de la forme et de la couleur qui convenait a une telle scène, chez un tel peuple, sous de tels cieux. Une lumière plus ardente répandue sur ces promontoires solides aux fermes arêtes, sur cette mer tranquillisée aux vagues d’azur, sur ce pêle-mêle agité de draperies polychromes, de visages enflammés, d’armes étincelantes, un accent de beauté plus noble et plus passionné sur les visages ensoleillés de ces filles joyeuses et de ces éphèbes héroïques, eussent donné à son œuvre le caractère supérieur qui lui manque. Certes, à l’heure de Salamine, la beauté grecque, telle qu’elle nous apparaît dans les œuvres de Polyclète, de Phidias, de Praxitèle, n’avait point encore été fixée par leur souverain génie ; en fait de plastique, on en était encore aux figures sévères et rudes des Sicyoniens et des Éginètes. S’inspirer des marbres du Parthénon pour imaginer les belles Athéniennes des générations antérieures n’était pas une stricte obligation pour le peintre, qui, d’ailleurs, à travers les œuvres d’art, ne doit chercher, par un effort d’imagination, que la créature vivante et la nature agissante ; mais, à défaut des chefs-d’œuvre attiques, M. Cormon ne pouvait-il consulter ces peintures archaïques de vases où la beauté souple, vive, ardente des femmes ioniennes est si naïvement et si fortement marquée ? On éprouve donc, malgré tout, quelque surprise de le voir s’en tenir, sur la gauche, dans son groupe de danseuses, à un seul type de visage épais, lourd, un peu bestial, type qu’on trouve sans doute dans les pays méridionaux, mais chez des peuples mêlés et abâtardis, dans des milieux moins purs que le milieu hellénique au Ve siècle avant notre ère.

On pourrait aussi chicaner M. Cormon sur son titre. Ces soldats de tout âge et de toute arme, qui reviennent, bras dessus, bras dessous, chantant à tue-tête, escortés par les femmes et par les gamins, tout chargés des dépouilles luxueuses de la Perse, avec leur chef caracolant, tête nue, sur un cheval au milieu de leurs rangs, le long de la mer, ces chœurs joyeux de jeunes filles, en costumes frais et bariolés, qui s’avancent, en dansant, au-devant d’eux, c’est bien plutôt le retour de Platée que celui de Salamine. Lors de la bataille navale de Salamine, Athènes, détruite et brûlée, était occupée par les barbares ; sa population, entassée sur les vaisseaux, n’y put retourner tout de suite ; dans la chaleur de la lutte, les navires ennemis avaient été coulés ou mis en fuite plutôt que pris. C’est après la victoire décisive de Platée, victoire en rase campagne, suivie du pillage des tentes asiatiques, que les Athéniens purent s’acheminer en triomphe vers les ruines de l’Acropole. Quoi qu’il en soit, vainqueurs de Platée ou de Salamine, ces soldats-citoyens, vaillamment affublés