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révoltante qu’un mangue de sincérité, et nous pardonnons l’incorrection plus facilement que la banalité.

Tous les artistes qui se montrent trop insensibles à ce mouvement des esprits subissent forcément, comme M. Matejko, l’indifférence du public. Certainement M. Scherrer, qui a traité avec moins de hardiesse et plus de vraisemblance l’Entrée de Jeanne d’Arc à Orléans, dans un cadre plus exact, aurait mieux animé la scène s’il avait fait une part plus large à la vie et à la réalité, soit dans l’accentuation des types, soit dans la qualité de la lumière. Le même aspect terne et conventionnel nuit à la Velleda, prophétesse des Gaules, par M. Edouard Fournier. La jeune prêtresse, au milieu de ses compagnons de captivité, dans le cachot souterrain où les Romains les ont entassés comme un troupeau de bêtes fauves, se dresse, échevelée et blanche, le long de la muraille cyclopéenne, pour entonner le chant de la mort et l’hymne de l’espérance. La scène est tragique, la composition virile et puissante. L’effort énergique qu’y fait le jeune artiste pour atteindre au style épique n’est pas toujours inutile ; on sent, dans tout l’ouvrage, malgré les défaillances, le travail actif d’une volonté sérieuse et patiente qui marche résolument vers un but déterminé. Le tempérament de M. Edouard Fournier n’est pas celui d’un coloriste ; mais il possède l’intelligence de la composition, intelligence assez rare aujourd’hui, qui, soutenue par la science du dessin, peut parfaitement suffire à faire un artiste de valeur. Lorsque son imagination, encombrée pour le moment de souvenirs scolaires, comme il arrive souvent aux pensionnaires studieux de la villa Médicis, se sera éclaircie par l’observation de la nature, on peut espérer de lui des œuvres intéressantes dans l’ordre historique. Ce qui est à désirer, c’est qu’il persiste résolument dans la voie difficile qu’il a choisie, c’est qu’il ne se laisse pas, comme tant d’autres de ses camarades, décourager par les premiers déboires de la transplantation dans le milieu parisien. Jusqu’à présent, nous ne voyons pas bien le bénéfice qu’ont pu retirer de leurs inutiles concessions à la mode courante tous ceux qui, revenus d’Italie avec l’amour des vrais maîtres et des ambitions nobles, ont menti par faiblesse à leurs convictions. Ni anciens, ni modernes, ni Romains, ni Parisiens, ils ont, en général, perdu rapidement, dans ces recherches fiévreuses de lucre rapide ou de basse popularité, les qualités sérieuses qu’ils avaient acquises là-bas, et tiennent, dans l’école, une situation incertaine et fausse qui ne leur assure ni l’estime profonde qui s’attache aux convictions laborieuses, ni même cette richesse désirée, qui, d’ailleurs, ne console pas toujours l’artiste à la mode de son abaissement intellectuel.