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envers le perfide violateur du traité de Breslau. Elle leur promettait de les délivrer au plus tôt du joug odieux de ce régime militaire prussien, véritable esclavage, disait-elle, qui ôtait aux pères le droit de disposer librement de leurs enfans.

Le prince obéit très à regret et en avertissant que l’expédition lui déplaisait ; mais elle plaisait moins encore à Frédéric, qui y vit une bravade de son vainqueur propre à mettre le comble à son humiliation. Pour le coup, c’en était trop, et il fallait tenir tête à tant d’audace : « Je défendrai la Silésie jusqu’à la mort, comme le Brandebourg lui-même, » s’écriait-il, et il y courut à toute bride, prêt à payer de sa personne. Il se montrait aussi très irrité contre ses généraux, qui ne savaient rien prévoir et ne pouvaient pas se passer de lui : « Que dites-vous de ces gens-là ? disait-il à Valori en partant, je n’en ai pas un seul qui vaille ! » L’alerte était vive, mais elle ne fut pas de longue durée. Il ne fallut pas longtemps à l’œil exercé de Frédéric pour reconnaître que les positions où il avait laissé son armée étaient fortes, très bien gardées (quoi qu’il en dît) et suffisantes pour assurer la défense, tandis que l’attaque était très mollement poussée et avec une répugnance visible chez les généraux autrichiens comme chez les soldats. Le prince Charles ne disposait même pas de toutes ses forces, la reine, qui voulait reprendre tout ce que la guerre lui avait enlevé, lui ayant enjoint aussi d’en détacher une partie vers la Bavière : on ne lui laissait que les levées hongroises, qui avaient fait à la vérité la principale force de l’armée autrichienne ; mais ces troupes mal réglées, passant de l’ardeur à la défaillance avec cette mobilité d’impression propre aux hommes chez qui l’enthousiasme tient lieu d’expérience et de discipline, ne soupiraient plus qu’après le moment de rentrer dans leurs foyers et ne se prêtaient qu’à regret à toute entreprise qui les en éloignait. Des compagnies tout entières abandonnaient les drapeaux pour reprendre le chemin de la Hongrie. Quand Frédéric eut donné les ordres nécessaires pour prévenir toute surprise, il laissa sans inquiétude le commandement à son cousin, le vieux prince d’Anhalt, en qui il avait au fond toute confiance, et revint tranquille dans sa capitale[1].

Mais quoique son absence n’eût guère duré que quelques jours, pendant ce court intervalle, la première impression causée par l’arrestation de Belle-Isle s’était calmée. On avait eu le temps d’apprendre que le gouvernement anglais, tout en déclarant que le fait s’était accompli sans ses ordres, était très résolu à en tirer

  1. Histoire de mon temps, chap. XI. — D’Arneth, t. II, p. 445-560 — Valori au roi, 22 décembre 1744. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Frédéric à Podewils, 20 décembre 1744. Pol. Cor., t. III, p. 370. — Droysen, t. II, p. 368-411.