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n’a pas à discuter des ordres dont il ne connaît pas, dont il n’a pas à connaître les motifs ; il n’a d’autre responsabilité que celle de l’exécution de l’ordre qu’il a reçu. Mais, en médecine, chacun doit connaître, et, s’il est digne du rôle qu’il doit remplir, il connaît les motifs de l’acte médical qu’il accomplit ; toujours l’accomplissement de cet acte, quand il s’agit d’un malade, engage sa responsabilité devant sa conscience. Quelle que soit sa supériorité hiérarchique, quand un chef dira à un subordonné : « Ouvrez cet abcès, » s’il croit, comme cela eut lieu entre Pelletan et Dupuytren, que cet abcès est une hernie, le subordonné n’obéira pas, parce qu’il n’y a pas de hiérarchie au monde qui puisse m’obliger, moi chirurgien, alors que je suis convaincu que mon chef se trompe, à tuer sciemment un malade, et cela par respect pour l’autorité d’un chef insuffisamment instruit ou insuffisamment éclairé.

Il est encore bien des circonstances où l’autorité du supérieur médical pourra recevoir une atteinte sérieuse du fait même des chefs militaires de l’armée. Quand il s’agit de la vie, mise en péril par une maladie ou une blessure, on fait bon marché des considérations de grade et de subordination. Croit-on que, si un général, sérieusement malade ou gravement blessé, apprend que, parmi les médecins subalternes de son corps d’armée, il se trouve un agrégé de la faculté, un chirurgien ou un médecin des hôpitaux de Paris, lui, ses amis, ses collègues hésiteront un instant à appeler ce subalterne en consultation, à solliciter de lui un avis dont ils connaissent la valeur ? Il n’y a aucun doute à cet égard, et l’on voit ce qu’il y aura d’étrange dans cette situation d’un subordonné venant, avec l’autorité que donne le savoir, donner un conseil à ses supérieurs réunis, discuter leurs opinions et faire prévaloir la sienne.

Ces conditions fâcheuses d’antagonisme ne se montreront pas seulement dans des cas exceptionnels, où le subordonné sera un médecin ayant une grande autorité scientifique ; elles se rencontreront ou pourront se rencontrer, d’une manière relative, à tous les degrés de la hiérarchie scientifique.


III

J’en ai dit assez pour montrer ce qu’il y a de déplorable dans la conception qui a présidé à la rédaction de l’article 275, pour montrer combien est détestable le projet de loi en ce qui regarde la mobilisation des médecins civils. Il est détestable, parce qu’il part d’un principe absolument faux : la subordination partout et toujours du médecin civil, quel qu’il soit, au médecin militaire quel qu’il puisse être. Mais il ne faudrait pas, de ce que je viens de dire, parce que