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Mais, si le sujet de Claudie, en soi, est aussi vrai que celui de Denise, et plus vraisemblable en son milieu, c’est pour l’intrigue, peut-être, que l’auteur a gardé sa fantaisie. On n’a pas oublié par quelle combinaison, à la fois savante et simple, M. Dumas contraint son héroïne de déclarer elle-même sa faute à l’homme qu’elle aime et dont elle est aimée : le drame s’élève, par ce ressort, jusqu’aux sommets tragiques. George Sand, peut-être, a imaginé quelque machine plus ingénieuse, dont le jeu nous amuse et dont les effets nous surprennent ; c’est par un manège habile que l’ouvrage nous intéresse et par des coups de théâtre qu’il nous émeut. — Hélas ! non : cette pièce est menée ou plutôt se laisse aller selon le cours des choses. C’est le galant qui bavarde, un jour qu’il veut se venger de sa maîtresse ; il narre tout uniment sa bonne fortune. La pauvre fille se retire, et l’honnête amoureux la pleure ; mais il l’aime trop pour consentir décidément à la perdre ; assuré que désormais il occupe seul tout son cœur, il la retient et il l’épouse. La substance morale de Claudie est comme une eau de source, et voilà tous les travaux d’art qu’elle a subis. Point de cascades ni de gerbes jaillissantes : le flot suit à son gré une pente naturelle.

C’est donc les caractères, apparemment, qui sont d’aimables mensonges ? La bonne dame de Nohant n’admet que des brebis et des agneaux, et pas un seul loup dans sa bergerie ? Ce coin de province est un paradis terrestre, apparu dans un rêve, et peuplé d’êtres surnaturels, qui ont pour mission de nous divertir et de nous consoler des hommes ? Examinons l’hypothèse : où sont-ils, ces anges ?

Claudie a fait la bête, plutôt que l’ange, il y a quelques années ; si c’est un agneau, ce n’est pas un agneau sans tache, et, sans sortir du pays, il a vu le loup. Va-t-on soutenir que cette héroïne est plus qu’une femme parce qu’elle est réservée, parce qu’elle est fière et qu’elle ne ment pas ? Ceux qui feraient d’elle cet éloge auraient vu l’humanité encore plus en laid que nos réalistes les plus cruels. Il se peut, sans doute, qu’une fille séduite devienne une fille éhontée ; mais il se peut aussi qu’elle s’enferme dans le souvenir de son malheur et ne se permette pas de tromper un honnête homme sur la qualité de sa vertu ; gageons que M. Zola ne dirait pas le contraire. Aussi bien, cette réserve même et cette fierté ne sont pas sans avantages : si Claudie ne s’accorde pas, par fraude, les bénéfices de l’innocence, elle ne s’inflige pas non plus toutes les charges de son état. Elle ne ment pas, mais elle se tait ; elle se dérobe, même, aux questions passionnées de Sylvain. Elle le fuit, c’est assez ; il ne dépend pas d’elle qu’en le fuyant elle ne lui laisse de sa petite personne une image immaculée, à laquelle il continuerait ses dévotions. Assurément, c’est son droit de femme ; ce ne serait pas son devoir d’ange. Et lui, le héros, est-ce un de ces merveilleux amans qui, en pareille conjoncture, prodigueraient les