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lui au levain ordinaire. Il est ancien soldat, vieux moissonneur, défenseur de sa fille persécutée : ces qualités, qui sont humaines, suffisent à expliquer ses sentimens et Bes actes ; il a sa juste place dans le drame, et des intérêts assez particuliers l’y rattachent ; il a ses raisons, — il se distingue par là de maint raisonneur, — pour défendre et bénir la fille coupable et crier aux parens de l’honnête jeune homme : « Est-ce qu’il est digne d’elle, votre garçon ? » Mais il est aussi le représentant de George Sand sur le théâtre et du bon Dieu sur la terre : à ce double titre, il a des idées générales et le don de l’éloquence. On s’aperçoit qu’il a paru, cet octogénaire, peu après 1848 : il est contemporain de Pierre Leroux, qui rend à l’humanité un culte religieux, et de ce clergé qui arrosait les arbres de la liberté. Il est philosophe et prédicateur. Il est patriarche du Berry et de tout le sol arable ; il recommence dans la plaine le Sermon sur la montagne. Il célèbre les bienfaits de la glèbe nourricière ; il sépare les bons des méchans. Il glorifie l’abondance ; il annonce le règne de la justice. Tout cela est fort beau, mais nous étonne un peu : ni dans ce lieu, ni de cette bouche, nous n’attendions ces leçons magnifiques ! Est-ce un personnage de théâtre, est-ce le père Rémy qui nous les donne ? Mais non ; c’est l’âme de l’auteur qui passe par ses lèvres ; ce visage n’est plus guère qu’un masque sonore. Aussitôt reconnu parmi des figures humaines, un masque intéresse peu, même s’il en sort d’admirables paroles ; cette musique, du moins, intéresse autrement que le cri de la nature ; l’illusion est presque dissipée, la sympathie devient plus tiède. Cette bénédiction de « la Gerbaude, » cette oraison qui s’épanche à la fin du premier acte, assurément nous ne demandons pas qu’on l’abrège : nous ne sommes pas si barbares, si insensibles aux nobles sentences et à la mélodie ; ce vin généreux est tiré, il faut le boire ; nous le buvons avec respect jusqu’à la dernière goutte. Mais soyons francs : quand le père Rémy, ayant achevé son discours, parait expirer, nous nous résignons à le perdre et ne le regrettons pas trop. Dieu et l’auteur nous l’ont donné ; Dieu et l’auteur nous le retirent ; que leur volonté soit faite ! Pour continuer le drame, assez de personnages survivent à celui-là, qui semblent exister par eux-mêmes. S’il est mort, toutefois, ce n’est pas pour longtemps : lorsque la toile se relève, le voici ranimé, qui se réchauffe au coin du feu. La joie que nous donne sa résurrection n’est pas sans inquiétude : il va recouvrer la parole ! Sans doute, il n’en fera qu’un bel usage : il sera l’orateur de George Sand. Mais ce n’est pas à George Sand que nous avons affaire : c’est à Claudie, à Sylvain, à leurs proches et à leurs compagnons. Chaque fois, par la suite, que le vieillard élève la voix au-dessus du ton qui appartient à son personnage et convient à la situation, nous sommes distraits du drame, notre plaisir change et il s’amoindrit. Ainsi, dans cette pièce, une seule partie d’un seul caractère manque