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moment, comme à son ordinaire, et ne faire qu’entrer et sortir. A la porte, elle s’arrête et se met au guet dans un petit passage voisin que le dauphin devait traverser pour être admis à son tour chez son père. Dès qu’elle l’aperçoit, elle se jette dans ses bras tout en larmes : — « Ah ! mon fils ! s’écrie-t-elle, en serrant contre son cœur l’enfant dont la tendresse était la seule consolation de sa solitude, dans quatre jours vous ne songerez plus à moi. » — Quant à la jeune dauphine, à qui tant de hâte ne permettait pas d’accomplir le projet qu’elle avait formé de suivre son mari, son affliction était telle qu’elle ne put se lever pour assister à la messe célébrée pour les voyageurs.

Le trajet fut fait en deux jours, de Versailles à Douai, avec une seule station à Compiègne, remarquable célébrité pour l’époque et dans l’état des routes. A Douai, le 8 mai au soir, le roi venait à peine de se coucher qu’il fallut rentrer chez lui pour lui amener un courrier de l’armée. Le maréchal de Saxe, suivant son désir, l’avertissait que le temps pressait, et qu’il n’y avait pas un instant à perdre s’il voulait prendre part aux dispositions du combat. Sa résolution fut arrêtée à l’instant, et il était parti au point du jour, en défendant qu’on éveillât le dauphin, encore livré à cette heure matinale au paisible et profond sommeil de la jeunesse.

L’arrivée du roi, le 9 mai dans l’après-midi, devançant l’attente générale, fut saluée par les acclamations de toute l’armée. La matinée du 10 fut employée par lui à reconnaître, avec Maurice, l’état des lieux et les mesures déjà prises. Réflexion faite, le maréchal s’était résolu à ne pas donner à l’ennemi qui approchait, ni à la garnison déjà captive de Tournay, la satisfaction de voir lever le siège. Mais, averti que le duc de Cumberland arrivait de Bruxelles par la route de Mons, il s’était décidé à l’attendre en force pour lui barrer le chemin avec le gros de ses troupes sur la rive droite du cours supérieur de l’Escaut, ne laissant sur l’autre rive et en aval que ce qui était nécessaire pour défendre les tranchées ouvertes et maintenir les lignes d’investissement : le quartier-général du roi devait rester aussi sur la rive gauche, au village de Calonne, mais tout à fait sur le bord du fleuve et en face d’un pont qui en assurait le libre passage.

Ces dispositions étaient l’objet de critiques très vives, exprimées presque tout haut dans l’entourage même du maréchal. La continuation du siège, disait-on, avait l’inconvénient de paralyser une partie des forces dont on pouvait avoir besoin au jour de l’action et de placer nécessairement le lieu de rencontre des deux armées dans le voisinage et presque sur le bord même de l’Escaut, les Français ayant le fleuve à dos, ce qui, en cas d’échec, accroissait les