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difficultés et les périls d’une retraite. On ajoutait que la route de Mons n’était pas la seule qui conduisait de Bruxelles à Tournay, il en existait une autre par Ath, aboutissant au côté de la ville qui faisait face au cours inférieur du fleuve. La démonstration faite par l’ennemi sur celle de Mons pouvait n’être qu’une feinte destinée à donner le change, tandis que la véritable attaque, suivant la direction opposée, amènerait l’ennemi devant des tranchées insuffisamment gardées et des lignes peu garnies, faciles à percer. Si un coup de main heureux le rendait maître de la place, nous serions pris à revers et coupés même de toute communication régulière avec la France. Cette inquiétude, assez généralement répandue, était accrue par l’impression sinistre que causait un douloureux incident survenu le matin même. Un baril de poudre ayant pris feu par la faute d’un soldat, le marquis de Talleyrand, officier d’une rare distinction, et quatre-vingts hommes qui l’entouraient, venaient d’être enlevés d’un seul coup, et leurs cadavres, portés par la force de l’explosion jusque sur les ouvrages avancés de la ville, en avaient été brutalement rejetés par les défenseurs de la citadelle pour retomber tout sanglans et tout mutilés dans la tranchée. Cette nouvelle portée au maréchal, qui était encore au lit, paraissait lui causer une si vive douleur, qu’il était resté une heure sans dire un mot, derrière ses rideaux fermés, comme s’il n’eût pas en la force de se soulever. On voyait dans cet abattement inaccoutumé l’effet d’une atteinte nouvelle du mal qui ne cessait pas de le miner et l’indice que, malgré l’obstination de son courage, la fermeté de son âme cédait à l’affaiblissement de son corps. — « Le maréchal baisse, » disait-on ; soupçon d’autant plus naturel que, sa dernière excursion à cheval ne lui ayant pas réussi, il ne croyait pas prudent de la renouveler, et on le voyait passer dans un petit panier d’osier et ridiculement affublé d’un justaucorps de taffetas matelassé qui lui tenait lieu d’une cuirasse, comme on en portait encore alors, dont il n’aurait pu supporter la gêne.

Il ne fallut que peu de temps et peu de paroles au maréchal pour faire voir au roi, par la lucidité de ses explications, que, quoi qu’on en pût penser, son mal (comme le dit son biographe et son aide-de-camp d’Espagnac) n’influait pas sur sa tête. Il eut aisément démontré qu’une fois l’ennemi engagé (comme on en avait l’assurance) sur la route de Mons, il ne pouvait en sortir pour se porter sur une autre voie sans faire un long détour à travers des ravins et des obstacles qui lui feraient perdre des momens précieux et permettraient à l’armée française, placée sous les murs mêmes de Tournay, de se porter à sa rencontre en temps utile, pour le devancer sur quelque point qu’il se présentât. Le roi, pleinement convaincu,