Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 81.djvu/762

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le goût ne vint à augmenter pour cette inhumaine curée… Le triomphe est la plus belle chose du monde, mais le plancher de tout cela est du sang humain et des lambeaux de chair humaine… J’assure de tous mes respects Mme du Châtelet. Adieu, monsieur. »

Langage bien nouveau et qui étonne à cette date et dans la bouche d’un ministre de Louis XV ; n’est-ce pas la philosophie nouvelle qui déjà se fait entendre, avec cette préoccupation d’humanité qui fut son meilleur caractère et qui n’a guère réussi pourtant à arrêter ni même à diminuer l’effusion du sang dans le monde qu’elle a transformé ? Le fait est d’autant plus à remarquer que jamais peut-être ce reproche d’insensibilité, auquel se prêtait trop souvent la rudesse des habitudes militaires d’autrefois, ne fut moins fondé que ce jour-là. Si le carnage avait été grand, rien ne manqua aux soins donnés aux victimes. Les prisonniers furent traités avec des égards peu ordinaires, et quand on vint demander à Louis XV comment devaient être soignés les blessés laissés par les Anglais : — « Exactement comme les nôtres, dit-il ; dès qu’ils sont vaincus et captifs, ce ne sont plus nos ennemis. »

C’est sans doute encore à une inspiration philosophique et (si on me permet cet anachronisme de langage) philanthropique du même genre que d’Argenson dut une inspiration plus généreuse que pratique, mais empreinte de ce caractère de grandeur qui, même lorsqu’elle n’est qu’apparente, a encore son utilité par l’effet qu’elle produit sur l’imagination populaire. Il conseilla au roi d’adresser officiellement, dès le lendemain de la victoire, une offre de paix aux états-généraux de Hollande. En chargeant, dès le 13 mai, La Ville de leur transmettre la relation exacte de la journée du 11 : « Vous verrez, monsieur (disait-il dans ce langage dont le ton, toujours un peu déclamatoire, n’était cette fois qu’au niveau de la circonstance), que, par cet avantage, le roi se trouve en ce moment maître des opérations dans les Pays-Bas ; mais dans la chaleur même d’un si grand succès, l’esprit de paix et d’équité, qui a toujours animé jusqu’ici les démarches du roi, ne l’a pas abandonné, et le premier soin de Sa Majesté est de m’ordonner de faire dire à messieurs des états-généraux qu’il les rendrait avec plaisir dépositaires de ses sentimens pour la paix, s’ils voulaient entrer dans des conditions conformes au temps, à l’honneur et à l’équité du roi. « Il proposait ensuite la réunion d’un congrès, dont une ville de Hollande serait le théâtre. « Et voilà, disait-il, l’esprit où est le roi et qui vous donne, monsieur, un beau rôle à jouer et digne du maître que nous servons. Au moment d’une victoire si complète, les Pays-Bas ouverts par des conquêtes