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en lui signifiant qu’un traité de paix si profitable à Rome doit suffire à le contenter. Sinon dans les actes solennels, du moins dans les confidences et les publications inspirées, on se déclare satisfait de la condition faite aujourd’hui aux catholiques en Allemagne. Qu’on prenne garde aux mauvais argumens de tribune que cette satisfaction pourrait suggérer ailleurs. Il existe, en dehors de l’Allemagne, des gouvernemens qui luttent à grand’peine, et sans beaucoup de conviction, pour maintenir des concordats ; si quelque ministre facétieux allait prendre au mot la cour de Rome et lui dire : « C’est donc là votre idéal ? Que ne le disiez-vous, au lieu de nous laisser user notre popularité à défendre vos droits ? Nous allons vous octroyer la liberté comme en Prusse ; sachez-nous autant de gré qu’à M. de Bismarck. »

Et ce ne sont là que les moindres dangers parmi ceux auxquels la nouvelle politique du saint-siège l’expose. Le plus menaçant, c’est l’engrenage, qu’on me passe le mot. On ne sait jamais jusqu’où l’on sera tiré quand on a mis sa main dans la main du chancelier ; elle est de fer, comme tout l’homme. Depuis que les envoyés du Vatican courent les routes d’Allemagne, ils doivent bien connaître les légendes de ce pays ; ils ont pu méditer le grand mythe du moyen âge, l’aventure du docteur Faust ; il demanda à Méphistophélès de lui rendre pour un jour la jeunesse et la force ; de service en service, le vieil homme vendit au terrible compagnon toute son âme, pour la vie terrestre et pour la vie éternelle. On peut déjà mesurer avec quelle désinvolture et quelle rapidité M. de Bismarck compromet son allié dans la plus haute question de doctrine politique, celle où le choix de la papauté aura des conséquences infinies, comme j’espère le démontrer par la suite. Le 23 mars, le chancelier disait dans le parlement : « Pour moi, les tendances subversives se ressemblent absolument, qu’elles viennent du côté de l’église ou du côté du monde, qu’elles soient répandues par des socialistes laïques ou par des démocrates en soutane. Le pape et l’empereur ont à cet égard les mêmes intérêts. Ils doivent résister de concert à l’anarchie, d’où qu’elle vienne. » Le 21 avril, l’orateur est plus catégorique et plus tranchant ; après quelques mots flatteurs à l’adresse du pape, a cet homme honnête et puissant qui réside à Rome, » il formule tout un programme en deux lignes : « Je me réjouis de voir les deux autorités, l’autorité temporelle et l’autorité spirituelle, combattre d’un commun accord la démocratie. » Vous lisez bien, il ne s’agit plus de « tendances subversives », « d’anarchie ; » c’est le combat contre la démocratie, sans phrases avec la complicité de l’église. Et l’on n’a pas protesté à Rome contre cette parole, la plus grave qui puisse tomber à cette heure sur les degrés du trône de saint Pierre.