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il répond plus loin qu’on doit tout faire pour les prévenir, mais qu’elles sont inévitables. « Je répète que dans une telle lutte des grandes masses contre le pouvoir armé, qui, on le reconnaît, leur refuse souvent les simples droits de la justice et de l’humanité, il est inutile d’espérer que toute erreur et tout excès de violence puissent être évités ; c’est ignorer la nature et les forces de la société humaine dans les circonstances de nos jours, que de rêver que cette lutte puisse être empêchée, ou que nous puissions persuader aux multitudes de ne pas s’organiser, seul moyen pratique de succès. » — Mgr Gibbons dessine alors à grands traits le rôle de l’église. « Ma connaissance intime de la condition sociale de notre pays me rend profondément convaincu que nous touchons ici une question qui ne concerne pas seulement les droits des classes ouvrières, qui doivent être spécialement chères à l’église, envoyée par notre divin sauveur pour évangéliser les pauvres, mais une question dans laquelle sont compris les intérêts les plus fondamentaux de l’église et de la société humaine pour l’avenir… Quiconque médite bien les voies par lesquelles la divine providence guide l’histoire contemporaine ne peut pas manquer de reconnaître la part importante qu’y prend à présent, et que doit y prendre dans le futur, le pouvoir du peuple… Et puisqu’il est reconnu de tous que les grandes questions de l’avenir ne sont pas des questions de guerre, de commerce ou de finance, mais les questions sociales, les questions qui touchent à l’amélioration de la condition des grandes masses populaires, et spécialement des classes ouvrières, il est d’une importance souveraine que l’église soit trouvée toujours et fermement rangée du côté de l’humanité, de la justice envers les multitudes qui composent le corps de la famille humaine. » — Le cardinal est d’avis qu’il faut appliquer ces principes dans l’espèce aux Chevaliers du travail, bien que cette association ne soit pas sous le contrôle direct de l’église. « Mais, dit-on, ne pourrait-on pas substituer à une telle organisation des confréries qui réuniraient les ouvriers sous la conduite des prêtres et sous l’influence directe de la religion ? Je réponds franchement que je ne le crois ni possible ni nécessaire dans notre pays. J’admire sincèrement les efforts de ce genre qu’on fait dans les pays où les ouvriers sont égarés par les ennemis de la religion ; mais, grâce au bon Dieu, nous n’en sommes pas là. Nous trouvons que, chez nous, la présence et l’influence explicite du prêtre ne seraient pas à conseiller là où les citoyens, sans distinction de croyance religieuse, se rassemblent pour ce qui touche seulement à leurs intérêts industriels. » — On voit où Mgr Gibbons se sépare des socialistes catholiques d’Europe ; je crains bien qu’il n’ait raison contre eux. Enfin, il montre les