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et du lieu, à des règles morales édictées pour tous les hommes par le même évangile. Aujourd’hui surtout, les idées générales ont des ailes très fortes, il est difficile de rabattre leur vol derrière l’Atlantique.

Elles l’ont déjà passé. Sans parler du clergé d’Irlande, dont les sentimens sont connus, l’épiscopat catholique d’Angleterre n’a pas voulu être en reste sur ses neveux d’Amérique. Le cardinal Manning a hautement souscrit au Mémoire, dans une lettre rendue publique : « J’ai lu avec un assentiment complet le document du cardinal Gibbons sur la question des Chevaliers du travail. Le saint-siège sera, j’en suis sûr, convaincu de sa justesse ; et cet exposé de l’état de notre Nouveau-Monde ouvrira, je l’espère, un champ nouveau à la pensée et à l’action… Comme notre divin Sauveur vivait parmi les gens du peuple, ainsi vit son église. » Et l’archevêque de Westminster ajoute : « Jusqu’ici, le monde a été gouverné par des dynasties : désormais, le saint-siège a à traiter avec le peuple ; et il a pour cela ses évêques, en rapports étroits, quotidiens et personnels avec le peuple. Plus on reconnaîtra ceci clairement et pleinement, plus l’exercice de l’autorité spirituelle sera fort. » Voilà une parole qui semble répondre à celle de M. de Bismarck, citée plus haut. Entre les conseils opposés du cardinal anglais et du chancelier allemand, l’église doit faire son choix. Tout récemment, Mgr Manning est revenu à la charge dans un article de journal ; car les princes de l’église d’Angleterre ne craignent pas de défendre leurs doctrines dans le journal. « La puissance du capital peut être appréciée par ce fait que sur plus de cent grèves, il n’y en a que cinq ou six qui aient tourné en faveur des travailleurs. Leur dépendance est si complète, la faim et les souffrances de leurs familles, composées de faibles femmes et d’enfans, sont si intolérables et si impérieuses, que le conflit entre le capital vivant et le capital mort est des plus inégaux ; et la liberté du contrat dont l’économie politique se glorifie n’existe pour ainsi dire pas. En de telles circonstances, assurément, le rôle de l’église est de protéger les pauvres, les travailleurs qui ont accumulé les richesses communes de l’humanité[1]. » Quand ces phrases tombent d’une plume laïque, les personnes respectueuses des choses établies les traitent de déclamations. Le mot leur brûlera les lèvres devant la signature d’un cardinal. Elles se contenteront de le penser.

Mais je n’ai pas qualité pour discuter ces thèses économiques, et ce n’est point ici le lieu. Je voulais seulement montrer l’étendue

  1. The Tablet, 30 april 1887, p. 683.