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des mouvemens et de l’harmonie des formes, savent bien qu’ils sont condamnés à adorer l’idéal, depuis que la Grèce a parlé ; s’ils négligent un jour son culte, par fantaisie ou par distraction, ils y doivent revenir le lendemain. Tel est le cas d’un de nos excellens artistes, M. Falguière. Sa Rixe entre deux ribaudes sur un Cythéron faubourien, groupe d’un mouvement hardi et d’une vie exubérante, mais d’un caractère brutalement réaliste, avait, l’année dernière, attristé et inquiété les admirateurs de son beau talent. Sa Diane de cette année, traduction en marbre, très amendée et très perfectionnée, d’un modèle en plâtre exposé naguère, les rassure absolument. Ce vaillant pétrisseur d’argile, ce savant tailleur de marbre, l’un des plus habiles praticiens qu’ait connus l’école française, n’a pu longtemps se résoudre à trahir ses vrais instincts. Il n’a pas voulu condamner ses yeux ni les nôtres à la contemplation définitive déformes imparfaites dont l’apparence extraordinairement réelle accentuait encore la vulgarité. Entre la Diane de 1883 et celle de 1887, il y a plusieurs années de méditation, et, quoique la chasseresse n’y ait point reconquis sa pureté divine, elle y a du moins retrouvé, comme femme, une grâce humaine, pleine et souple, qui justifie sa fierté. Certes, ce n’est plus l’Artémis svelte et agile des légendes helléniques, dépassant du front toutes ses nymphes, la Vierge fière et douce dont le pasteur assoupi sent trembler sur lui les tendres regards dans les rayons pâles de la lune, l’incarnation supérieure de l’activité chaste, comme Pallas-Athéné est celle de la chasteté pensive. Dans son voyage à travers les siècles, depuis que l’exil a dépeuplé l’Olympe, la déesse a dû s’accommoder a bien des climats divers, changer souvent de mine et de tenue, au gré de ses tardifs adorateurs. De même que Vénus est devenue l’allégorie banale dans laquelle chacun réalise sa conception, plus ou moins personnelle, de la beauté amoureuse, de même Diane n’est plus qu’un prétexte, pour les artistes modernes, à réaliser leur conception de la beauté pudique. Si nous en jugeons par celle de M. Falguière, la pudeur de Diane au XIXe siècle est une pudeur hautaine, très consciente, fort dédaigneuse, qui, non contente de se tenir sur ses gardes, semble plutôt disposée à l’attaque, une pudeur expérimentée et provocante. Les Dianes de MM. Lombard et Dampt vont d’ailleurs nous montrer une conception identique dans des actions différentes.

La Diane de M. Falguière, une de la pointe des cheveux à la pointe des pieds, est une Diane chasseresse. Le pied droit posé sur une saillie de rocher ou un flocon de nuage, elle vient de décocher, de haut en bas, une flèche meurtrière, et la main droite en l’air, encore vibrante, tenant encore de la main gauche son arc détendu, elle semble suivre, d’un regard méprisant, le trait qu’elle a lâché.