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beaucoup modifiées. Si le mouvement de décentralisation dans les arts n’apparaît pas encore, d’une façon éclatante, aux yeux du public, il se développe néanmoins lentement, avec une continuité qui n’échappe pas aux yeux des observateurs intéressés. La plupart des statues commémoratives qui figurent au Salon actuel ont été commandées par des villes de province. Reims a commandé à M. de Saint-Marceaux, qui porte un nom célèbre dans la contrée, le motif central d’un bassin pour la cour de son hôtel de ville. M. de Saint-Marceaux a fait jaillir, au milieu de ce bassin, transformé en vase à rafraîchir, du goulot d’une bouteille dont le bouchon saute, une jeune femme souriante, la Mousse de Champagne. Cette fantaisie pittoresque n’est-elle pas une conception de dessinateur plutôt que de sculpteur ? La suspension d’une jeune femme de grandeur naturelle, sans ailes, sans support, en l’air, au-dessus d’un goulot étroit dont elle n’a pu sortir, n’est-elle pas aussi contraire aux exigences de l’œil, en fait de vraisemblance, qu’aux lois de la statique, en fait d’équilibre ? Sa nudité académique était-elle même indispensable ? Puisqu’il s’agit d’une folie française, agitant ses grelots dans un climat qui n’est pas un climat grec, à la suite d’une légère ivresse qui n’est pas l’ivresse des bacchantes, n’eût-il pas mieux valu la faire plus française, en lui accordant quelques draperies dont l’agitation eût pu même, jusqu’à un certain point, expliquer son attitude volante ? L’œuvre est exécutée avec le talent qu’on sait, mais M. de Saint-Marceaux nous semble avoir été parfois mieux inspiré. M. Louis-Noël, de Saint-Omer, a sculpté pour l’église Notre-Dame-des-Ardens, à Arras, un monument funéraire de Mgr Lequette, évêque d’Arras. C’est un ouvrage intéressant, d’un aspect grave et noble, d’une exécution correcte et vigoureuse. L’évêque, en habits sacerdotaux, est représenté à genoux, faisant ses prières. S’il n’y a rien de nouveau dans cette disposition obligatoire, l’artiste a su du moins en tirer un bon parti, grâce aux beaux mouvemens de ses draperies et à l’expression sérieuse de la tête. M. Syamour, du Jura, a fait, pour la ville de Saint-Claude, un Voltaire affranchissant les derniers serfs, qui, par le hasard du placement, dans la nef du palais des Champs-Elysées, a l’air de suivre, d’un air ironique et menaçant, le Jean-Jacques Rousseau en promenade, de M. Berthet, destiné à la ville de Paris. Ces deux figures, sans nous apprendre rien de nouveau sur les deux philosophes, les représentent convenablement l’un et l’autre, le premier, avec son air de théoricien rêveur ; l’autre, dans une attitude de penseur plus pratique et plus actif.

M. Chapu avait à faire pour la cathédrale d’Orléans un travail plus considérable. Le monument qu’on y doit élever à Mgr Dupanloup réunira, comme le monument du général Lamoricière à Nantes,