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la teinte de poésie qui fait si touchans, malgré leur sourire, nos vieux chefs-d’œuvre : la Dame blanche ou le Pré aux clercs. Avec M. Chabrier, on ne sait trop où l’on est, où l’on va ; on passe d’un grand finale d’opéra à des couplets d’opérette, presque de café-concert ; de sonorités ingénieuses et choisies au vacarme vulgaire, à la brutalité de l’instrumentation, et l’auditeur cahoté ressemble au cavalier qui galope avec un étrier trop court, l’autre trop long : il manque d’assiette.

Le premier acte nous a paru le plus agréable ; voilà la couleur discrète, le ton qu’il fallait garder. Déjà l’opérette perce de temps en temps, mais par pointes assez fines, et qui ne blessent pas. Ici, comme dans Gwendoline, l’harmonie est trop souvent tourmentée, elle étonne un peu le lecteur et l’embarrasse ; mais à l’audition, les aspérités s’effacent et la trame semble unie. Le petit chœur des joueurs, la chanson de Nangis, tout cela court vite ; l’orchestre est toujours agile. Par l’orchestre surtout valent les couplets comiques de Fritelli ; sans une instrumentation plaisante, la vulgarité du chant ressortirait un peu trop. Charmante est l’entrée de Minka, poursuivie par un Cosaque, comme la Prascovia de l’Étoile du Nord ; avec la première phrase de la jeune fille s’enchaîne un excellent petit quintette : voilà de la musique élégante et bien tournée. La romance de l’alouette en dit plus qu’elle n’est grosse ; il y a dans cette ritournelle de hautbois, dans cette courte mélodie un parfum à la fois doux et sauvage ; c’est bien la chanson d’une enfant des steppes. La chanson du roi est bien celle d’un Français, et d’un Français de cette époque ; le prélude des deux altos en rehausse la couleur archaïque et lui donne une allure un peu traînante qui convient à la rêverie d’un exilé.

Mais quelle péronnelle que la duchesse Alexina, cette, cantinière d’opérette, qui vient vocaliser avec aigreur sur l’ambition, la politique et autres sujets peu musicaux et peu comiques ! Minka est plus aimable ; elle chante avec Henri un remarquable duo, plein de fort jolis détails. Citons entre autres la phrase câline que Mlle Isaac dit à plusieurs reprises avec une finesse délicieuse :

Mais s’il est une récompense,
Pour Nangis je la voudrais.


Avant la fin de l’acte, l’ensemble : Qu’a-t-il fait ! est traité dans le bon style, demi-sérieux et demi-plaisant, de l’opéra comique. J’aime moins un chœur de soldats grotesques, emplumés comme des casoars. Il y a là, dans l’imitation de nos sonneries militaires, un effet cherché qui ne porte pas beaucoup.