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le jour même où l’on exclut les Autrichiens, c’est pratiquer trop ouvertement la politique des convenances personnelles, déclarer trop clairement que l’on tient compte des faits, mais qu’on ne croit point à des raisons supérieures aux faits, ni à des principes auxquels il faut rapporter même les coups de force. Ces raisons existent pourtant, et ces principes sont, à leur façon, des forces. Ils exigent que l’œuvre commencée soit menée à son terme ; mais l’unification de l’Allemagne ne sera terminée que par un concours d’événemens dont personne au monde, pas même M. de Bismarck, ne prévoit ni la date, ni le caractère, ni l’issue. Reconnaissons pourtant que ces imperfections sont plus vivement ressenties par les observateurs du dehors que par les Allemands eux-mêmes. Les fondateurs de l’empire n’ont point de mal à se défendre des critiques qu’on leur adresse. A chaque jour, disent-ils, suffit sa peine; après aujourd’hui, il y a demain. C’est beaucoup déjà que d’avoir fait, comme disent les publicistes de mauvaise humeur, la petite Allemagne : petite Allemagne deviendra grande, mais nous ne la voulons point exposer aux dangers d’une croissance prématurée. Ces excuses, qui ont leur valeur, sont fort bien accueillies, et les regrets de M. Constantin Frantz n’ont servi Qu’à faire éclater de rire les journalistes berlinois, gens pratiques vivant non dans l’empyrée, mais sur terre, en plaine, au niveau de la mer.

Laissons donc de côté l’avenir. Enfermons-nous dans l’Allemagne actuelle, telle qu’elle a été faite par les batailles, par les traités et par la constitution. Puisqu’elle ne redoute point le péril où sa fortune l’a mise, puisqu’elle ne pleure point les frères exilés, puisqu’elle est contente d’être forte, pourquoi donc semble-t-elle payer d’ingratitude son créateur, et d’où vient enfin son opposition ?

En France, nous sommes portés à croire que toute résistance opposée au gouvernement de l’empire vient des petits états, et qu’elle atteste le réveil du particularisme. L’opinion n’est pas complètement fausse, mais il ne la faut exprimer qu’avec de grandes précautions. Sans doute, il y a en Allemagne des régions historiques et géographiques, et il n’est point malaisé d’y reconnaître encore aujourd’hui une Bavière, une Souabe, une Franconie, une Thuringe, une Saxe, mais il n’est pas de pays au monde où ne se rencontre pareil phénomène. Nous avons une Bretagne, une Normandie, une Gascogne, une Provence. Chez nous, il est vrai, l’extinction ou l’expropriation des dynasties locales et la longue communauté de vie ont depuis longtemps assuré l’unité de la patrie; l’Allemagne, au contraire, a gardé jusqu’à nos jours des familles régnantes, dont la durée a perpétué le particularisme ; mais parmi ces survivans.