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point la langue de l’Allemagne. Au contraire, les Lorrains allemands et les Alsaciens ont été pendant des siècles des Allemands, et ils parlent la langue des vainqueurs. Le patriotisme des Polonais, des Danois, des Français de Metz est à la fois historique et ethnographique ; le patriotisme français des Lorrains de langue allemande et des Alsaciens est un acte d’option, un acquiescement de l’esprit, un parti-pris du cœur. Ceux-là représentent la patrie d’autrefois, qui était un être naturel, comme la famille ; ceux-ci, la patrie telle que nous avons, nous Français, l’honneur et la gloire de la concevoir, c’est-à-dire un être moral et libre ; mais les uns et les autres sont unis par la similitude même de leur condition : ils regrettent la patrie. Dans la pleine lumière de la civilisation moderne, au sein de ce Reichstag sur lequel sont attirés les regards du monde entier, ils attestent la violence qui leur a été faite et ce mépris des consciences nationales, professé par la Prusse au moment où elle constituait la nation allemande. Par cela même qu’ils siègent au parlement, ils font mentir la charte de l’empire ; car il n’est point vrai que chacun des membres du Reichstag « représente la nation entière. » Ces députés des vaincus siègent en qualité d’ambassadeurs délégués par des fragmens de peuples étrangers. Il n’est pas vrai non plus que les « membres du Reichstag ne soient liés par aucune instruction ou mandat : » Polonais, Danois, Lorrains, Alsaciens apportent un commun mandat, la protestation.

A côté de ces étrangers siègent deux partis très considérables tous les deux, nés en même temps que l’empire : le parti socialiste et le parti catholique.

Le socialisme n’était pas représenté dans les chambres de Prusse, et il ne pouvait l’être. Le suffrage universel lui a ouvert les voies; les élections au parlement lui ont donné l’occasion de produire son programme et ses chefs et de dénombrer ses soldats. A la vérité, il était depuis longtemps pressenti, attendu, annoncé. Henri Heine, — pour ne parler que de lui, — savait que la nature germanique est particulièrement propre à comprendre les doctrines de la révolution sociale et à les couver longtemps, pour les faire éclore avec un grand bruit de tonnerre et une illumination d’éclairs apocalyptiques. Heine a reçu ce don de divination que l’antiquité prêtait aux poètes. Au temps où l’Allemagne s’affligeait de son impuissance, il annonçait qu’un jour le terrible petit géant, nourri de flammes impétueuses, déracinerait un chêne, et, armé de cette massue, mettrait aux gars du voisinage le dos tout en sang et la tête en capilotade. Une autre fois, il a prédit que les « communistes » français se rendraient maîtres de Paris et précipiteraient