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n’ont pas existé de tout temps. Elles sont le résultat d’une longue évolution, dont les dernières conséquences se produisent encore sous nos yeux. Il est vrai que, les grandes lignes de démarcation étant tracées depuis des siècles, il ne reste plus aujourd’hui qu’à remplir des cadres déjà tout prêts et à classer définitivement, dans l’une des catégories existantes, quelques exemplaires douteux. Mais en étudiant ces derniers et faibles restes d’indétermination, en observant les motifs qui dirigent le classement, on peut se faire une idée des principes qui ont présidé au développement de notre système grammatical. Le même tour d’esprit qui fait édicter aujourd’hui qu’il faut orthographier : Passé dix heures, — excepté les jours de fête, — vu les articles de loi, — sauf les cas de dispense, ce même tour d’esprit est celui qui, il y a trois mille ans, a constitué peu à peu la préposition. A première vue, on serait porté à croire que ce sont les subtilités de maîtres d’école ou les scrupules de prêtes d’imprimerie ; replacées dans la série des faits, ces prescriptions se montrent comme les humbles, mais logiques continuations d’un mouvement qui a été, en son ensemble, d’une grande importance pour toute notre famille de langues.

Guillaume de Humboldt, qui aimait à agiter dans ses écrits des problèmes de cet ordre, dit que nous portons dans notre esprit une sorte de grammaire qui, tôt ou tard, finit par marquer son empreinte sur le langage. C’est ce qu’il appelle Die innere Sprachform (la forme linguistique intérieure). Rien n’empêche d’accepter cette expression, mais à condition de la bien comprendre. Il est bien clair que la forme linguistique intérieure n’est pas un don de la nature, puisqu’elle varie d’un idiome à l’autre, et puisque pour un seul et même idiome elle se modifie dans le cours des âges. C’est une acquisition qui se fait avec la suite des temps, par le travail en commun de tout un peuple, qui se consolide par l’usage, et qui finit par si bien s’imprimer dans notre esprit qu’à l’ordinaire nous n’en avons pas conscience, et que nous éprouvons une certaine peine à en faire momentanément abstraction. Suivre pas à pas cette acquisition intellectuelle, autant que les monumens parvenus jusqu’à nous le permettent, et en nous Aidant de l’observation des autres familles de langues, c’est là une tâche qui appartient essentiellement à la sémantique, et qui présente un intérêt d’un genre particulier, puisque le sens ici se subordonne et se soumet la matière du langage.

Ce n’est d’ailleurs pas le seul problème de ce genre. En voici un autre non moins curieux.

La mort matérielle d’une désinence n’en suspend point l’usage. Longtemps encore après qu’elle a disparu, le langage y peut faire