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lin, et que l’affaire la plus grave pour l’empire allemand n’est pas ce qui se passe au Reichstag ou à la cour de Leipzig, occupée à juger et à condamner de malheureux Alsaciens coupables de fidélité à la France. Tout se résume aujourd’hui dans ce double fait : le déclin sensible du vieil empereur, qui est revenu récemment plus affaibli d’une excursion à Kiel, dont l’existence, on le sent, ne tient qu’à un fil, et l’état du prince impérial Frédéric-Guillaume, frappé dans sa force par un mal peut-être incurable. Et comme si ce n’était pas assez de la réalité, on y ajoute tout ce que peut imaginer cette singulière émulation de commérage et d’indiscrétion qui règne aujourd’hui ; on publie les consultations, les procès-verbaux des opérations, avec accompagnement de commentaires. Les médecins eux-mêmes, les médecins allemands et anglais, se mettent de la partie et se font par leurs confidences les complices des nouvellistes empressés à satisfaire la curiosité du monde. Or, à part ce qu’il y a de déplacé ou de frivole dans ces divulgations indiscrètes, il s’agit dans tout cela d’une crise de règne en perspective, de la première transmission de la couronne à Berlin depuis la résurrection de l’empire. Quelles seraient les conséquences d’un événement qui, s’il se réalisait, enlèverait d’un seul coup deux générations de princes de la puissante et heureuse maison des Hohenzollern, qui ferait passer brusquement la couronne sur la tête d’un prince jeune, passionné et ambitieux ? C’est là ce qu’il y a de plus sérieux non-seulement pour l’Allemagne, mais pour l’Europe, pour tous les pays, pour la paix du monde, qui aurait à subir cette épreuve d’un changement de règne dans des circonstances toujours passablement critiques. On n’en est pas encore là sans doute, puisque M. de Bismarck a cru pouvoir quitter momentanément Berlin, et il peut y avoir bien des péripéties ou des intermittences dans des maladies dont la puissance ne défend pas les rois. Tout est cependant possible, on le sent. L’éveil est donné en Europe sur une éventualité qui est entrée désormais dans les calculs de la politique. Tout reste incertain après les consultations des médecins tant pis et des médecins tant mieux, — sans parler des consultations des nouvellistes, — et ce qu’il y a pour le moment de plus clair, c’est que le prince impérial ne paraît pas s’être beaucoup mieux trouvé du voyage qu’il vient de faire en Angleterre pour assister malgré tout aux fêtes du jubilé de la reine.

C’est le cours éternel des choses ; tout est contraste dans le monde, et tandis qu’à Berlin, en Allemagne, en Europe, on est occupé à calculer ce qui reste de jours à un vieil empereur, peut-être aussi à son fils, à son plus proche héritier, l’Angleterre est tout entière aux réjouissances, aux fêtes, aux manifestations publiques pour le jubilé de la reine Victoria, souveraine du royaume-uni, impératrice des Indes. Il y a un mois à peine, on préludait aux fêtes prochaines par la célébration du soixante-huitième anniversaire de la naissance de la reine ;