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impatience la fin de la soirée, qui se termine invariablement par une tasse de thé accompagnée d’un petit pain mollet. Le pasteur Lorriaux aime les enfans, et je crois qu’il préside à l’école du dimanche, qui se fait rue de la Providence pour ceux que le travail de la semaine a retenus loin des classes. Il sait que, pendant les vacances scolaires, le petit écolier de la cité du Soleil et des quartiers voisins subit l’influence de la famille, reprend rapidement les habitudes de flânerie à travers les rues, et vit dans le milieu empesté des chiffons, des vieux os et des détritus de cuisine ; double inconvénient dont l’esprit et le corps ne se trouvent pas bien. Il a imaginé de créer ce qu’il appelle : l’Œuvre des trois semaines, œuvre qui fonctionne régulièrement, qui a sa caisse alimentée par des souscripteurs charitables, — pour 1885, j’en compte 97, ayant versé 4,326 fr. 25, — et qui produit de très bons résultats. Le pasteur et Mme Lorriaux réunissent des enfans pauvres, si pauvres que jamais ils ne sont montés dans un wagon de chemin de fer, et que jamais non plus ils ne sont sortis de cette banlieue lépreuse qui est accrochée à Paris, comme un champignon attaché au tronc d’un chêne, et ils les conduisent à la campagne, dans la vraie campagne, là où il y a des prairies, des bois, des ruisseaux et des fermes.

C’est en 1881 que, pour la première fois, il a mis cette excellente idée à exécution ; il emmenait trois bambins ; la proportion s’est rapidement accrue, car, l’an dernier, il convoyait une caravane de 164 enfans. Il les pèse au départ, il les pèse au retour ; il n’en est pas un qui n’ait gagné 2 ou 3 kilogrammes. Le lieu d’élection est Montjavoult, dans le département de l’Oise ; on y reste trois semaines, logeant chez l’habitant, comme des soldats en campagne et se roulant dans l’herbe comme des poulains échappés. Pour de petits Parisiens du pavé de Paris, ne connaissant que les arbres alignés des boulevards ou la verdure tassée des squares, habitués à la rumeur des rues, au bruit des voitures, aux lourdes atmosphères, aux cloaques, aux guenilles et au tumulte des cabarets, la campagne produit un effet prodigieux. Le silence leur cause une sensation d’étonnement qui ressemble à l’effroi, l’air vif les grise, l’énormité des horizons les remplit de stupeur. Il en est qui restent immobiles, bouche béante et secoués par une émotion si intense qu’elle devient presque douloureuse. Comme le rat de La Fontaine, ils s’écrieraient volontiers : « Que le monde est grand et spacieux ! » Avoir toujours vécu dans les bas-fonds de la civilisation à outrance, que l’on n’a guère aperçu que par ses mauvais aspects, et se trouver subitement transporté en pleine existence rustique, c’est entrer de plain-pied dans une féerie d’autant plus belle qu’elle est de courte durée. On garde les vaches et les moutons, on conduit les