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Que dira l’ouvrier quand la pièce de 5 francs qu’il a reçue pour salaire ne comptera plus dans sa main que pour 3 francs et peut-être moins ? Que deviendra le commerce de détail ? Et la Banque de France, la moitié de son trésor métallique sera donc stérilisée? Quels frissons chez les porteurs de ses billets, et quel amoindrissement du capital national !

Ces lamentations n’ont rien qui doive surprendre : elles sont le cri instinctif de la routine et de l’ignorance. Pauvre ou riche, il n’est pas un acte de la vie où n’intervienne la monnaie, soit directement, soit d’une manière latente, et, à part quelques rares théoriciens, il est peu de sujets dans l’ordre économique qui soient aussi généralement négligés et méconnus. Dans le va-et-vient des échanges, le numéraire est donné et reçu de confiance, sans qu’on ait le temps d’observer au passage un des phénomènes les plus curieux de la vie sociale.

En tout temps et en tous lieux, le besoin d’échanger et surtout de régulariser les échanges a suggéré l’idée de choisir un objet, immuable par nature autant que possible, et de l’adopter comme type et mesure de valeur au moyen de laquelle on pût donner un prix à toutes les autres marchandises. Mais quel type choisir? Certains coquillages, de gros disques de pierre, une pièce de bétail, une barre de fer, des fourrures, des paquets de tabac, tout cela a été mesure et monnaie, suivant les contrées et les âges. Les métaux précieux, à mesure qu’ils apparaissent, éliminent les autres moyens d’appréciation. Dans le cours des siècles, ils se répandent au hasard à travers le monde; partout d’abord on les emploie simultanément, sans règle aucune, suivant l’arbitraire des souverains et les ressources métalliques dont le pays dispose ; leur rôle et leur pouvoir d’échange varient incessamment. Dès les temps anciens, on suivrait dans le monde commercial les traces d’un agiotage sournois, d’une inquiétude fiévreuse, résultant de l’impossibilité de maintenir un rapport de valeur rationnel et invariable entre l’or et l’argent ; c’est la querelle du bimétallisme, plus que jamais flagrante aujourd’hui. Toutefois, l’expérience dégageait peu à peu la lumière. Pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle, le commerce anglais eut à souffrir d’une disette de l’argent. Dès 1760, un lord-maire de Londres, le chevalier Barnard, prit à tâche de remédier au mal, et ses contemporains lui montrèrent tant de reconnaissance qu’une statue lui fut élevée de son vivant, honneur qui n’avait été décerné avant lui qu’à Newton. Un peu plus tard, un homme d’état qui, dans sa longue carrière, avait eu successivement la haute main sur tous les services où l’on peut pénétrer les secrets de la circulation monétaire, la direction des douanes, du commerce, de la monnaie, de l’amirauté, de la trésorerie