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sa carrière, se laisse aller à de bien étranges confusions dans ce Rapport sur les antiquités de Rome dont avec raison, croyons-nous, M. Müntz lui attribue la rédaction. Au début de la renaissance, ce qu’on connaissait surtout de l’antiquité, c’étaient ces traditions vieillies qui, bien loin de préparer la rénovation de l’art, avaient achevé de l’amoindrir et de le paralyser. Nous pouvons sur ce point invoquer un témoignage qu’on ne saurait suspecter, celui de Ghiberti lui-même, qui, placé en quelque sorte au seuil de l’ère nouvelle, était si bien en mesure de nous renseigner sur les préoccupations des artistes ses devanciers. Dans le curieux Commentaire où se trouvent réunies les informations qu’il a recueillies sur eux, il nous montre Cimabué attaché à ce qu’il appelle « la manière grecque, » tandis que Giotto, « pour fonder l’art nouveau, abandonne la grossièreté des Grecs et rend l’art naturel. » Ce qu’on goûte, en effet, le plus à cette époque chez Giotto et chez ses élèves, ce sont les imitations les plus hardies de la nature, ces traits pris sur le vif, dont la naïveté familière et parfois même la grossièreté contrastent avec l’impassibilité et l’inertie des images offertes auparavant à l’adoration des fidèles. C’est ainsi que Ghiberti cite avec éloges « une figure peinte de saint Thomas d’Aquin qui semble se détacher du mur. » Lui-même, d’ailleurs, cet admirateur enthousiaste de l’antiquité, qui collectionne avec ardeur tous les ouvrages qu’il en peut acquérir, après avoir parlé du bonheur que lui donne cette carrière d’artiste qu’il a courue « dès son enfance avec enthousiasme et persévérance, » il ajoute ces mots significatifs que c’est « dans cette seule intention qu’il a toujours tâché d’épier les secrets de la nature, de découvrir comment il pourrait se rapprocher d’elle en étudiant la manière dont les objets frappent les yeux, en approfondissant les lois de l’optique, etc. » On sait en effet combien était vif chez lui cet amour de la nature qui s’étendait au paysage, aux animaux les plus humbles, aux plantes elles-mêmes, dont il s’appliquait à rendre les détails les plus minutieux avec autant d’élégance que d’exactitude.

L’influence qu’a pu exercer l’imitation de l’antiquité sur la renaissance de l’art italien nous paraît donc avoir été un peu grossie par M. Müntz, et nous pensons qu’au début surtout l’étude de la nature a été bien autrement féconde. C’est par elle seule aussi que chez nous les sculpteurs du moyen âge avaient renouvelé et progressivement perfectionné leur art. L’antiquité leur était inconnue, et sans tirer d’elle aucun enseignement, c’est par l’observation de la réalité et la recherche de l’expression qu’ils ont appris à substituer aux figures grimaçantes ou bizarrement contournées qui couronnaient les chapiteaux ou qui garnissaient les portails de nos premières cathédrales, ces statues du Christ, de la Vierge et des