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saints, qui, dès la fin du XIIe et pendant tout le XIIIe siècle, nous montrent à Paris, à Chartres ou à Amiens cette justesse de proportions, cette ampleur et cette simplicité croissantes dans les draperies, cette vérité et cette noblesse d’attitudes dont, à cette époque, nous chercherions en vain l’équivalent en Italie.

Quoi qu’il en soit, grâce à ses longs efforts, l’art italien, désormais en possession de ses moyens, avait peu à peu acquis la conscience de sa force. Il était arrivé à ce point de maturité où, recueillant le fruit de ces lentes préparations, un artiste supérieur pouvait le mener à la perfection. M. Müntz fait revivre pour nous, avec sa physionomie si animée, cette ville de Florence dans laquelle, au moment le plus décisif de sa carrière, Raphaël allait passer quatre années. Nulle part ailleurs un esprit ouvert comme était le sien n’aurait rencontré des ressources semblables pour atteindre son complet développement. La renaissance, avec son prodigieux mouvement d’idées et la vivacité de ses aspirations souvent contradictoires, avait trouvé là sa plus libre expansion. L’ardeur excitée par les prédications de Savonarole était loin d’être éteinte, et, dans la trêve momentanée des partis qui se disputaient le pouvoir, au milieu d’une richesse et d’une sympathie croissantes, la littérature et les arts, dans leurs manifestations passionnées et confuses, montraient comme un écho des troubles et des violences récentes qui avaient ensanglanté la cité. A côté de palais qui semblaient des forteresses, le Dôme, le Campanile, le Baptistère, Or San Michèle, la chapelle Brancacci et le couvent de Saint-Marc attestaient la glorieuse fécondité des artistes florentins et demeuraient comme autant de leçons offertes par eux à leurs successeurs. Ces courans divers, entre lesquels l’art s’était partagé, avaient fait de lui une chose expressive et vivante comme la société elle-même au milieu de laquelle, en dépit de ces agitations incessantes, il s’épanouissait peu à peu. Le naturalisme, le mysticisme religieux, l’expression dramatique des sentimens, l’étude de la nature et celle des procédés, bien des préoccupations, bien des recherches diverses trouvaient tour à tour des représentans parmi les nombreux artistes ou parfois même se montraient confondues dans le talent de chacun d’eux. L’émulation était extrême, et, à côté des noms justement célèbres des précurseurs, on pouvait encore citer ceux de maîtres comme Domenico Ghirlandajo, les deux Pollaïuolo et Filippino Lippi, qui venaient à peine de disparaître; ou ceux de Cosimo Roselli, de Piero di Cosimo, de Lorenzo di Credi, de Sandro Botticelli et de fra Bartolommeo, qui vivaient encore, quand déjà, grandissant en pleine gloire, Léonard de Vinci et Michel-Ange, conviés à cette heure même par la république à une lutte mémorable, achevaient tous deux ces