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a su également éviter les ossatures apparentes et les déploiemens musculaires qu’étalent les colosses imaginés par Michel-Ange.

Par cette sereine et constante recherche de la beauté, par cette absence complète de manière, le Sanzio se rattache aux plus pures traditions de l’art antique. Mais s’il est exempt des écarts qu’on peut relever chez ses rivaux, il faut bien reconnaître aussi qu’il ne nous offre dans son dessin ni la science anatomique, ni la tournure grandiose et passionnée qu’a celui de Michel-Ange, ni surtout ces curiosités inquiètes, cette recherche minutieuse et cette étude patiente de la vérité qui poussent le Vinci à reproduire avec un fini et une perfection inimitables les objets qu’il a sous les yeux : une figure d’enfant, une fleur ou un lambeau d’étoffe. Raphaël n’a pas de ces raffinemens. Une vérité moyenne justement observée, rendue dans ses traits essentiels, lui suffit. Son exécution, large et facile, ne cherche jamais, comme celle de Léonard, à lutter corps à corps a, vec la nature[1], à pousser à fond les représentations qu’il en fait. La différence entre les deux maîtres s’accuse non-seulement dans leur manière de copier la nature, mais dans le choix même de leurs modèles. Tandis que le Florentin n’y épargne ni son temps ni ses peines, qu’il parcourt la ville entière cherchant ceux qui peuvent lui convenir, qu’il les place sous un jour soigneusement déterminé, qu’il dispose avec art leurs draperies, et qu’avec des prodiges d’habileté il s’absorbe dans des études d’un fini en quelque sorte photographique, Raphaël, lui, est pressé de réaliser son idée. Impatient des intermédiaires, il se renseigne en toute hâte près du premier venu qui lui tombe sous la main. D’un coup d’œil aussi juste que rapide, sans les hésitations ni les scrupules de son rival, il reconnaît promptement ce qu’il lui faut, et dans ce modèle improvisé qui ne le distrait jamais de sa pensée, il voit déjà telle qu’elle doit être la figure de son tableau ou de sa fresque. Ce bon sens pratique, cette facilité à s’accommoder des occasions les plus prochaines, plusieurs dessins de l’Urbinate nous en fournissent des preuves évidentes, et un charmant croquis de sa jeunesse (musée Wicar) nous initie à des procédés de travail qui lui permettent d’utiliser pour une figure de vierge un jeune garçon, sans doute un de ses compagnons d’atelier. Dans son remarquable travail sur les Vierges de Raphaël, M. A. Gruyer nous fait, il est vrai, observer avec raison « qu’en ce temps-là, en pleine Ombrie, la femme ne se livrait pas volontiers aux regards du peintre; » surtout quand ce peintre était un jeune homme de dix-neuf ans. Mais avec une décision bien faite pour nous surprendre, Raphaël voit aussitôt dans les gestes et même dans les traits de son camarade ce qu’il importe

  1. « Il dipintore disputa e gareggia colla natura, » disait Léonard.