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des plus avantageuses à l’individu : celles-ci sont alors parvenues à un degré de développement capable de les rendre distinctes dans la conscience. Par suite, le degré de perfectionnement atteint par chaque organe des sens correspond exactement au besoin fonctionnel, c’est-à-dire à l’utilité et à la force qu’en pouvait retirer l’individu dans la lutte pour la vie, à l’augmentation de bien-être qui en pouvait dériver pour lui et pour son espèce. C’est là un résultat des lois biologiques et de l’élimination forcée des individus mal adaptés à leur milieu.

Prenons des exemples. Pourquoi avons-nous une sensation exquise de la température? C’est que cette sensation s’est trouvée nécessaire à notre existence et à la satisfaction de l’appétit vital : si elle manquait, nous pourrions, sans nous en douter, être tués par le froid ou par la chaleur. Les êtres chez qui elle ne s’est pas assez développée ont été fatalement victimes des accidens de la température ; les autres ont survécu et, transmettant à leur génération des organes thermométriques de plus en plus délicats, ils ont opéré le triage des sensations de température : ils ont donné à ces sensations une existence de plus en plus distincte dans la conscience, un relief et une saillie dans la sensibilité. Ces sensations enveloppent, encore aujourd’hui, des formes d’émotion agréable ou pénible ; seulement, la vivacité du plaisir et de la douleur s’y étant émoussée peu à peu, elles ont acquis un caractère plus voisin de l’indifférence, une physionomie moins affective et plus représentative. La fusion en un tout d’une multitude de plaisirs ou de peines à l’état naissant a fini par paraître étrangère au plaisir et à la peine, mais ne vous laissez pas prendre à cette apparence : toute sensation de chaleur ou de fraîcheur est du plaisir ou de la peine qui commence, c’est de l’émotion qui s’apprête et sollicite la volonté, c’est un ébranlement qui se prépare à passer de l’état moléculaire à l’état massif.

Si nous avons un sens pour la chaleur, un autre encore plus délicat et plus utile pour la lumière, grâce auquel le toucher à distance remplace le toucher immédiat, nous n’avons, en revanche, aucun sens pour l’électricité. — « Tandis que nous percevons l’augmentation ou la diminution de chaleur ou de lumière, a dit le naturaliste allemand Nœgeli, nous ne savons pas si l’air dans lequel nous respirons contient ou non de l’électricité libre, si cette électricité est positive ou négative. » Tout au plus, dans les journées d’orage, avons-nous une vague sensation de lourdeur et de tension, qui encore n’a rien de bien spécifique. Touchez un fil de télégraphe, vous ne sentirez pas si ses particules sont à l’état de repos ou de mouvement électrique. Les darwinistes ne sont pas embarrassés pour fournir l’explication de ce fait. Il n’y avait point de nécessité vitale à ce que le sens de l’électricité se développât d’une façon