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a toujours été l’homme d’état de la paix par l’équilibre des forces et des influences habilement contenues. Il avait réussi, au moins pour le moment, dans ses campagnes contre la révolution, à Carlsbad, à Troppau, à Laybach, jusqu’à Vérone. Il avait à se mesurer avec bien d’autres difficultés de l’ordre européen, et une des plus curieuses épreuves pour sa diplomatie est une question qui a singulièrement grandi depuis, qui en était encore alors à ses premières phases : je veux parler de la question d’Orient! C’est ici ce qu’on pourrait appeler une autre face de la politique du chancelier autrichien.

Cette question, qui a passé depuis un siècle par tant de métamorphoses, que M. de Metternich avait eu plus d’une fois l’occasion d’agiter dans ses conversations intimes avec Napoléon, elle avait survécu à 1815 comme une suite de la guerre que la Russie avait engagée contre la Porte, et dont elle s’était brusquement détournée en 1812 par la paix signée avec les Turcs à Bucharest. Telle qu’elle apparaissait d’abord, elle n’avait rien de menaçant; elle était destinée à s’aggraver bientôt. Elle se composait alors, comme elle s’est toujours composée, d’élémens assez complexes. Il y avait entre la Russie et la Porte une de ces querelles dont le cabinet de Saint-Pétersbourg s’est réservé de tout temps l’avantage en Orient, des difficultés d’interprétation du traité de Bucharest, des contestations de frontières en Asie, des relations incertaines. La querelle traînait sans solution, sans aggravation, lorsque tout à coup, aux premiers mois de 1821, éclatait l’insurrection grecque, qui commençait dans la Moldo-Valachie, sous le prince Ypsilanti, général-major au service russe, et qui, vaincue par les Turcs sur le Danube, ne tardait pas à s’étendre à l’Épire, à la Thessalie, jusqu’au Péloponèse, enflammant et ralliant tout le monde hellénique. De sorte que deux questions se mêlaient ou se rencontraient : la question, toute diplomatique encore, des rapports de la Russie et de la Porte, rapports subitement compliqués par la rentrée des Turcs dans les-principautés du Danube, et cette insurrection grecque, qui semblait se lier aux mouvemens révolutionnaires de l’Occident, qui devenait un danger de plus en ajoutant à l’imbroglio européen. C’est là le point de départ. C’est le problème nouveau qui venait surprendre M. de Metternich en plein congrès de Laybach, en pleine action contre Naples et contre le Piémont. « Dans l’espace de six semaines, écrit-il, nous avons fini deux guerres et étouffé deux révolutions. Espérons que la troisième, celle qui a éclaté du côté de l’Orient, ne sera pas plus heureuse... » Au fond, le plus habile et le plus avantageux des tacticiens de la politique ne s’y trompait pas. Il sentait qu’une crise de l’Orient,