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encore dans les mouvemens subtils qui accompagnent l’attention et « l’aperception ; » il n’en est pas moins vrai qu’il y a innervation motrice sous tout acte de l’esprit. C’est précisément parce qu’on ne discerne pas les sentimens d’impulsion et de désir dans les actes intellectuels qu’on se figure encore avec Platon un intellect pur, indépendant, une sorte de jugement contemplatif « prononçant sur la vérité intelligible. » En fait, tout jugement, toute affirmation est un prélude à l’action et au mouvement : c’est même la conscience de cette action commençante qui est, selon nous, la principale caractéristique du jugement, de l’affirmation. Juger que la table est carrée, c’est commencer à se mouvoir par l’imagination jusqu’au centre de cette table pour se donner la sensation de ses quatre côtés égaux et perpendiculaires. L’affirmation que l’eau est glacée enveloppe un amas de résolutions et de volitions ; elle veut dire que, étant données certaines conditions, j’irai et marcherai sur cette eau. Dire que le soleil est chaud, c’est dire que je suis disposé à agir et à me mouvoir comme si j’éprouvais telle sensation de lumière et telle sensation de chaleur. Un jugement ou assertion implique donc une exertion, une certaine action commençante des muscles, qui n’est pas encore actuellement portée jusqu’à tel point de l’espace ou du temps, mais qui s’y prépare ; cette exertion annonce une attitude de ma volonté telle que, par la suite, quand l’occasion viendra, l’action sera entreprise et menée jusqu’au bout. L’affirmation est donc une action à la fois commencée et suspendue, une volition bornée au point de départ.

« Savoir, c’est pouvoir, » disait profondément Aristote ; ajoutons que pouvoir, c’est toujours mouvoir. Je puis agir volontairement sur les choses par mes idées des choses, donc je les connais et les affirme, autant du moins qu’il est nécessaire à la connaissance purement scientifique. Si par une série de mouvemens des mains, l’enfant place une montre auprès de son oreille et se donne à lui-même la sensation du tic-tac déjà éprouvée, il sourit de plaisir, et ce sourire signifie : Je sais. Toute idée, tout sentiment n’existe qu’en vue de l’action et tourne en action. Quelque étrange que la chose paraisse, nous irons jusqu’à dire, contrairement à certaines spéculations abstraites des platoniciens sur la « vérité » : c’est la portée pratique qui fait la valeur théorique, qui distingue la réalité du rêve, même du rêve « bien lié. » La mesure de la vérité n’est pas la sensation seule, comme le disait Protagoras; elle n’est pas non plus la pensée pure; mais elle est la sensation jointe à l’action.

Il y a donc, en définitive, dans tout acte de l’esprit, trois élémens dus à la conscience et inexplicables par l’influence du dehors ;