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à l’objet et, en dernière analyse, par le désir. L’aperception intellectuelle, en un mot, n’est autre chose qu’une plus grande intensité de conscience produite par ce que Leibniz nommait « l’appétition » sensible. C’est le désir qui fixe la pensée. La théorie de M. Wundt est encore trop logique et trop intellectualiste : il cherche toujours l’unité de composition mentale dans un acte de pensée, au lieu de la chercher dans quelque chose de plus profond et de plus vital que la pensée même.


Pour nous, nous croyons qu’il faut admettre la fois, sous les phénomènes mentaux, un principe d’unité radicale et une radicale diversité. Ce qui fait la véritable unité de ces phénomènes, à nos yeux, ce n’est ni le choc, dont parlent MM. Spencer et Bain, ni le sentiment de choc et de différence, ni le raisonnement, ni « l’aperception intellectuelle » de M. Wundt ; c’est, on vient de le voir, le désir, d’où résulte la lutte pour la vie, et qui enveloppe toujours une conscience plus ou moins sourde. Dans tous les êtres que nous concevons nous ne pouvons nous empêcher de placer, sous les noms de force, d’activité, de tendance, d’impulsion, quelque chose d’analogue au désir et au vouloir; en revanche, nous concevons fort bien que leurs sensations puissent être très différentes des nôtres, aussi impossibles même à représenter dans le langage de nos idées que les couleurs dans la langue des sons. Le désir, avec la conscience et la tendance motrice qui en sont inséparables, est donc le vrai principe d’unité qui rapproche tous les êtres; la sensation, au contraire, avec ses espèces peut-être innombrables, est, comme Platon l’avait vu, le principe de la diversité radicale.

Dès lors, c’est une chimère, à notre avis, que de tout vouloir ramener à une unité absolue, qu’elle soit de l’ordre mécanique ou logique, — ce qui revient au même. Le a mouvement transformé, » le « raisonnement transformé » sont, comme la sensation transformée, des explications apparentes et non réelles. Il y a quelque idolâtrie dans le culte voué de nos jours à la « transformation des forces. » La théorie de l’évolution, mieux entendue, doit abandonner la prétention de réduire toutes choses à une « homogénéité » du même genre que celle des quantités pures, y compris les différences mêmes de nos sensations sous le rapport de la qualité. Ce que la science réduit à l’unité, ce sont simplement des lois, des rapports, ou, comme on dit aujourd’hui, des processus ; ainsi, on peut parfaitement réduire à l’unité les lois mécaniques et les lois logiques, les procédés des diverses opérations intellectuelles, toutes ces fonctions à la fois logiques et mécaniques de l’entendement où on a eu le tort de chercher des « actes » originaux et irréductibles. Les