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souverain pontife entendait diriger le temporel ; l’empereur tranchait du juge des consciences. Il faisait des lois contre les hérétiques, et, parmi ceux qu’il envoyait au bûcher, il avait soin de comprendre les ennemis de son autorité, les fauteurs des libertés municipales, les rebelles de son royaume du Midi, ceux mêmes dont le seul crime était d’être dévoués au pape.

Ce qui donnait à cette nouvelle phase de la lutte une âpreté qu’elle n’avait pas encore eue, même au temps de Grégoire VII et d’Alexandre III, c’est que chacun des deux pouvoirs était arrivé à donner à ses prétentions la formule définitive. Chacun était allé aux dernières conséquences de sa doctrine. Des décisions les plus téméraires des papes, juges des peuples et des rois, Rome avait formé le code de la théocratie ; Frédéric, des lois des empereurs romains, commentées par d’implacables logiciens, avait dégagé la thèse de la royauté absolue. Comme Tibère, Vespasien ou Dioclétien, il se posait en « maître du monde: » comme eux, il était « la loi vivante, la loi affranchie de toutes les lois » (lex animata in terris, lex legibus omnibus soluta); comme eux, il était investi de tous les droits qu’avait possédés le peuple romain, le peuple-roi, incarnant en lui la majesté de Rome et du genre humain. Si le pape traduisait à son tribunal tous les actes des fidèles, les contrats même des particuliers comme les décisions des rois, et, en sa qualité de juge du péché, prétendait juger toutes les actions, l’empereur, à son tour, faisait du péché lui-même un délit qu’appréciaient les tribunaux laïques. Il poursuivait les ennemis de la divinité et condamnait les hérétiques, comme ses prédécesseurs païens avaient condamné les chrétiens. Il se souvenait que, bien avant qu’il y eût des papes, l’empereur romain avait porté le titre de pontifex maximus et que sa personne était auguste, sainte et sacrée, protégée par les terribles commentaires des jurisconsultes sur la loi de sacrilège comme sur la loi de lèse-majesté. La tradition romaine, ainsi entendue, ne laissait au pape, en face de l’empereur, que l’humble situation qu’avaient eue les évêques de Rome en face de Constantin.

Entre les prétentions de la papauté et celles de l’empire, aucune transaction n’était donc possible. Chacun des deux rivaux combattait non pour l’indépendance, comme la papauté au temps de Grégoire VII ou comme l’empire au temps de Henri IV, mais pour la domination universelle, pour la domination intégrale. Le droit romain se dressait en face du droit canonique, chacun dans sa rigueur inflexible, comme deux livres sacrés issus d’une double révélation, comme un Koran opposé à un Koran. Du côté du pape, des centaines de théologiens ; du côté de l’empereur, des centaines de