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légistes, poussaient à ses dernières déductions l’un et l’autre principe de despotisme. Il ne s’agissait plus que de savoir qui recueillerait dans son intégrité l’héritage de Dioclétien. Entre ces deux monarchies, toutes deux saintes et absolues, universelles, œcuméniques, il n’y avait plus de place pour la liberté. L’humanité n’avait à choisir qu’entre deux tyrannies, dont l’une absorberait toute la puissance de l’autre. Mathieu Paris, le chroniqueur anglais, parle de prophéties qui couraient alors le monde : elles annonçaient qu’il n’y aurait qu’un seul Dieu, un seul monarque, qui serait le souverain unique.

Ce n’est pas seulement dans les régions supérieures de la politique transcendante que luttent le pape et l’empereur : ils n’entendent pas perdre terre, ils se disputent chaque pouce du territoire italien. Comme dans les tableaux de Kaulbach, il se livre une double bataille : l’une dans les nuées et l’autre sur la glèbe des champs. La région d’Italie la plus ardemment contestée, c’est la Lombardie. Les cités lombardes sont en majorité pour le pape. Celui-ci, depuis Alexandre III, est le protecteur-né de leurs libertés et elles sont la garantie matérielle de son indépendance. Ce sont elles qui empêchent l’établissement du despotisme impérial dans la vallée du Pô, en quelque sorte sur la tête de la papauté, déjà menacée au Midi par le royaume sicilien; ce sont elles qui, gardiennes des défilés des Alpes, peuvent fermer la route aux armées et aux ambitions germaniques. Milan, alliée libre et fidèle, alliée de conviction et de raison, est pour le pape cent fois plus précieuse que Rome, cette sujette capricieuse et si souvent rebelle.

Or, c’est à Milan et aux cités lombardes que Frédéric vient alors s’attaquer. Il bat les milices municipales à Cortenuova et emmène comme trophée le fameux caroccio, ce palladium roulant des libertés italiennes. Grégoire IX, avec les armes d’en haut, vient au secours de ses alliés vaincus : pour la seconde fois, Frédéric est excommunié; pour la seconde fois, il dénonce à l’Europe cet abus de pouvoir de la papauté, qui s’obstine à mêler la politique et la religion. Une double guerre, à la fois guerre civile et guerre religieuse, se déchaîne en Allemagne et en Italie : en Allemagne, où le pape cherche, même dans la famille de l’empereur, à susciter un anti-césar; en Italie, où les factions guelfe et gibeline mettent aux prises cités contre cités, châteaux contre châteaux. Partout l’on frappe de la langue et de l’épée. Les milices des moines mendians, dominicains et franciscains, sont aussi belliqueuses que les chevaliers bardés de fer; légistes et théologiens, doctrinaires et pamphlétaires, poètes d’Allemagne, de Provence et d’Italie entrent dans la lice, remuant dans ses couches profondes la chrétienté tout entière.