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L’attitude de Frédéric au milieu de cette lutte acharnée, parmi les revers et les défections, est à remarquer. Même vaincu, il n’abdique aucune de ses prétentions. Son langage est celui d’un Trajan, paisiblement assis sur le siège curule du législateur universel, dans la sécurité et la majesté de la paix romaine. Quelles que soient les trahisons de la fortune, il se fait appeler « grand et pacifique, glorieux, vainqueur et triomphateur, toujours auguste. » Toutes les formules, toutes les pratiques du grand empire revivent pour lui. Il fonde une ville en Sicile et la nomme Augusta. Quand il a brûlé Celano, il la reconstruit et lui impose le nom de Cesarea. S’il écrit à son fils Conrad, il l’appelle « race divine du sang des césars; » parlant de sa mère, il lui donne le titre que Tibère donnait à Livie : diva mater nostra.

D’être un empereur divin à devenir dieu, y a-t-il donc si loin? Iési, le petit bourg italien où Frédéric Il est né, il l’appelle « notre Bethléem. » Le pape peut donc l’accuser de s’élever au-dessus de Dieu, « de se tenir assis dans le temple. » Dans l’exaltation du fanatisme gibelin, pour beaucoup de ses partisans, Frédéric II est vraiment un Messie. L’un le salue, « vicaire et lieutenant de Dieu ; » l’autre, un évêque, lui écrit que, « pour aller vers son Seigneur, il marchera sur les eaux ; » le troisième, également un prélat, lui décerne le titre d’antistes, « chef de la loi: » de la loi divine comme de la loi humaine.

Est-il donc étonnant qu’on ait prêté à Frédéric II l’idée de fonder une religion nouvelle, dont il serait le pape, presque le dieu? Pourtant il faut bien reconnaître que, des deux adversaires, le pape et l’empereur, c’est celui-ci qui est le plus modéré. A certains momens, on le prendrait pour un champion de la liberté, combattant uniquement pour affranchir l’Europe de l’effroyable despotisme, à la fois politique et religieux, dont la menacent les ambitions pontificales, par la confusion du spirituel et du temporel. C’est surtout quand il est obligé de faire appel à l’opinion européenne qu’il se prononce contre le cumul des deux pouvoirs. Il invoque auprès des rois, même auprès des barons, la solidarité qui unit tous les princes séculiers : « Quand la maison brûle, il faut faire provision d’eau chez soi. Il est facile d’humilier ensuite les rois et les princes quand on porte à la puissance impériale, qui est le bouclier des autres, le premier coup... Réfléchissez bien à ceci que, si l’on commence par moi, l’empereur élu par les Allemands, c’est pour finir par les rois... Défendez votre cause en soutenant la mienne. » Sans doute, il n’est pas impossible que, devançant Henri VIII d’Angleterre ou reprenant l’œuvre des empereurs byzantins, il ait songé à constituer des églises d’état, indépendantes du pape et dont les grands souverains