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en Orient. Entre le chef de la diplomatie autrichienne et le chef de la diplomatie anglaise, c’est une sorte de duel, qui n’est interrompu que par la mort soudaine du brillant ministre du roi Georges IV, au mois d’août 1827, à la veille de Navarin, lorsque la politique de l’Angleterre est déjà trop engagée pour se modifier du jour au lendemain. Avec la France, le chancelier d’Autriche emploie volontiers la séduction. il profita de toutes les occasions, d’un voyage qu’il fait à Paris, d’une visite qu’il reçoit peu après de M. de La Ferronays à Téplitz, pour essayer d’éclairer et de gagner à sa cause les ministres français, pour faire l’éducation de M. de Villèle, de M. de Damas, le modeste et terne successeur de Chateaubriand. Il ne tarde pas à s’apercevoir que, soit faiblesse ou crainte de l’opinion, soit condescendance inavouée et intéressée pour la Russie, le cabinet des Tuileries échappe à ses conseils. A Saint-Pétersbourg, il trouve devant lui un jeune empereur à l’esprit ambitieux, « coulant dans les formes, dit-il, caressant dans ses explications avec ses alliés, mais entier, actif dans la poursuite de ses vues, de ses intérêts particuliers. » Il sent bien que le danger est là avec la puissance envahissante, il déploie toute son habileté auprès de l’empereur Nicolas, il met en mouvement ses ambassadeurs, l’empereur François lui-même, pour détourner une guerre qui peut jeter l’Europe dans un « dédale de maux, » qui affecte surtout d’abord les intérêts de l’Autriche. M. de Metternich, dans ses négociations, ne va jamais jusqu’à un éclat, jusqu’à une menace de rupture; il ne cesse de faire appel à l’alliance. Un instant vient cependant où entre Vienne et Saint-Pétersbourg les rapports semblent singulièrement tendus, où, devant la déclaration de guerre de l’empereur Nicolas, l’Autriche se retranche dans une neutralité ombrageuse et impatiente, suivant avec défiance la marche de l’ambition russe, attendant une occasion de rentrer en scène. M. de Metternich tient tête jusqu’au bout à la crise, et, dans cette lutte, il reste ce qu’il est, un homme qui a de l’habileté, de l’intrigue, le génie des expédiens et une sorte d’antipathie instinctive pour ceux qu’il appelle des « romantiques, » des hommes d’imagination et d’aventure : les Pozzo, les Capo d’Istria, les Stein, les Canning, les Chateaubriand. Ceux-là, il les « flaire, » comme il le dit, et il les a en horreur. Il se caractérise lui-même par ses antipathies bien plus que par ses sympathies, qui sont rares[1].

  1. Au sujet de son goût ou de ses antipathies pour certains personnages politiques du temps, M. de Metternich écrivait à Gentz : «... Il y a dans ma nature quelque chose qui me fait aller droit à certains hommes, comme la piste conduit le chien de chasse au gibier. A peine les ai-je flairés qu’ils s’éloignent de moi, et, dès lors, il n’y a plus de rapprochement possible entre nous. Ces hommes sont plus ou moins des aventuriers, comme Pozzo, Capo d’Istria, Armfeldt, d’Antraigues, etc. Sans que je connaisse les gens de cette espèce, ma nature se soulève contre eux; mais il y a encore une autre catégorie d’individus qui me sont aussi antipathiques : je veux parler des Chateaubriand, des Canning, des Haugwitz, des Stein, etc. Ils m’inspirent aussi un sentiment de répulsion, mais il est d’un autre genre. Je pourrais presque qualifier les individus de cette espèce dès la première visite... » (Mémoires, t. IV, p. 195.)