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chez elle sur tout autre sentiment, soit que, se sentant Allemande avant tout, le soin de reconquérir en Allemagne même la prépondérance dont avaient joui ses aïeux et la parcelle du sol germanique qu’on lui avait ravie fût à ses yeux le premier de ses intérêts comme de ses devoirs, toujours est-il que, préoccupée de faire rendre à son époux, par les électeurs de Francfort, la couronne impériale, et de refouler l’usurpateur prussien dans les sables de Brandebourg, tout ce qui se passait au-delà du Rhin et à distance semblait beaucoup moins la toucher. L’Angleterre s’était bien aperçue de cette indifférence relative quand elle avait vu le duc d’Arenberg, emmenant avec lui le gros des troupes autrichiennes, ne laisser qu’un faible détachement avec Königseck, sous les ordres de Cumberland, et elle ne s’était pas fait faute de s’en plaindre. Le reproche n’étant que trop bien justifié par l’événement, Marie-Thérèse devait craindre de voir la réclamation se reproduire avec plus de force et d’être contrainte, pour y faire droit, à l’envoi de nouveaux renforts qui auraient diminué les forces dont elle avait besoin, soit pour défendre, au midi, contre le prince de Conti, la liberté de la diète électorale, soit pour appuyer, au nord, l’attaque du prince de Lorraine. Ce fut, nous dit un observateur sagace qui vivait dans son intimité, le souci principal que lui causa l’échec de ses alliés à Fontenoy. Elle craignit que la secousse ne fît échapper de ses mains la proie qu’elle croyait déjà tenir[1].

Mais cet ennemi lui-même, objet de tant de haine, ce ravisseur impuni, ce Frédéric, en un mot, que pensait-il du succès de nos armes, dont il était l’allié encore nominal, bien que toujours douteux et surtout toujours maussade ? Si on se rappelle dans quelles dispositions nous l’avons laissé, on jugera que son impression dut être et fut effectivement assez mélangée. La nouvelle vint le chercher en pleine campagne, dans un camp établi en avant de Breslau, autour duquel il avait concentré toutes ses troupes, après avoir non sans peine et sans coup férir rappelé à lui tous les détachemens qui gardaient l’entrée de la Silésie. Il laissait ainsi la province ouverte à l’attaque des Autrichiens commandés par le duc de Lorraine, et des Saxons sous les ordres du duc de Weissenfels. C’était à dessein qu’il attirait sur ce point toutes les forces ennemies, trouvant que cette position était la meilleure qu’il pût choisir pour leur résister ; vainqueur, il gardait sa conquête, mais vaincu, il ne lui restait plus de ressources. De la lutte décisive qui allait s’engager dépendait donc le sort de sa puissance et de sa renommée. C’est dans cet état d’inquiétude

  1. D’Arneth, t. III, p. 65. — Trizzo, ambassadeur de Venise à Vienne, 29 mai 1745. (Archives de Venise.)