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électorale. Non qu’ils fussent aussi disposés que lui à donner aux moyens moraux la préférence sur les moyens matériels, mais parce que, uniquement occupés de la Flandre, l’Allemagne leur était à charge, et qu’ils ne demandaient pas mieux que de se laisser convaincre par tous les argumens qui les dispensaient de faire sur ce terrain ingrat un effort sérieux. Le plus empressé à prêcher cette abstention à Francfort, ce dut être le maréchal de Saxe, qui, une fois maître de Tournay, n’avait nulle envie d’en rester là, et s’était mis au contraire tout de suite à l’œuvre pour achever la conquête de la province. — « Ce ne serait qu’un jeu, » disait-il au roi ; et le prince, ayant pris goût à ces promenades triomphales, ne demandait pas mieux que de continuer de les faire en sa compagnie. Mais comme ces combats, bien que peu meurtriers, ne laissaient pas que d’affaiblir l’armée conquérante, quelques renforts étaient nécessaires pour combler les vides, et on ne pouvait prendre que sur le Rhin. Ordre fut donc envoyé à Conti de laisser partir pour la Flandre un détachement de vingt mille hommes. Si ce n’était pas un commencement de retraite, c’était du moins une renonciation évidente à toute action agressive importante.

Frédéric ne s’y trompa pas ; il attendait d’heure en heure, avec plus d’impatience que d’espoir, la nouvelle des mouvemens militaires qu’il avait sollicités, et, voyant entrer sous sa tente Valori, qui ne quittait plus l’armée : — « Eh bien ! lui dit-il, le prince de Conti a-t-il enfin rencontré et battu les ennemis ? » Quand il sut qu’au contraire le général français venait de se laisser enlever tout moyen d’agir : « Voilà qui est fait, dit-il, je n’attends plus rien de ce côté-là et je n’ai plus que de mauvais pronostics à faire… Je prévois que le prince de Conti repassera le Rhin et que l’élection du grand-duc se fera malgré le roi votre maître, ainsi que l’association des cercles et de la plupart des princes d’Allemagne, et qu’ils porteront la guerre en France… Voilà, et que va opérer ce beau et inutile détachement ? .. Je n’en reviens pas, poursuivit-il ; au nom de Dieu, à quoi est-il bon ? Vous aviez devant vous une armée battue. Je parierais qu’elle ne reparaîtra pas de toute la campagne. Qu’aviez-vous besoin de ce secours ? La campagne du roi est faite, et glorieusement. Il fallait, au contraire, détacher de la Flandre, s’il était possible, après la prise de Tournay, pour l’Allemagne. C’est là qu’il faut être le maître, et par cela seul que le roi votre maître peut en imposer à ses ennemis et secourir ses alliés. Mais je vois de reste à quoi je dois m’attendre : le Rhin repassé, il n’y aura plus de ressource. »

Et, comme Valori cherchait à lui persuader et à se persuader lui-même que tout n’était pas perdu, et que Conti gardait encore de quoi faire un heureux effort : — « Mon ami, dit-il, l’espérance est une monnaie dont vous cherchez à me payer depuis longtemps et qui