Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réussir ; on peut craindre alors que ses convictions froissées et sa vanité humiliée ne le portent à quelque extrémité fâcheuse, et, comme après tout il est le maître, après avoir écrit, il peut être tenté de proscrire. Constantin l’a-t-il fait véritablement ? Peut-on l’accuser sur de bonnes preuves d’avoir violé à la fin de sa vie cet édit de tolérance qui avait fait l’honneur de ses premières années ? La question est obscure, et les contemporains eux-mêmes l’ont résolue en sens inverse. Eusèbe et les écrivains ecclésiastiques, toujours portés à prendre leurs désirs pour des réalités, ont affirmé sans aucune restriction qu’il avait fermé les temples et aboli les sacrifices. Libanius, au contraire, soutient qu’il n’a rien changé au culte légal et que, sous lui, les cérémonies se sont accomplies comme auparavant. Ce qu’il faut conclure de ces assertions contraires, c’est que Constantin n’est pas toujours resté fidèle à sa première politique et qu’il s’est donné quelquefois à lui-même de fâcheux démentis. Nous savons, en effet, qu’il lui est arrivé de dépouiller certains temples pour enrichir ses favoris ou décorer sa capitale improvisée ; il en a laissé détruire d’autres par des fanatiques sous des prétextes futiles. Il a pu même, à l’occasion, publier des lois menaçantes pour effrayer les indécis et hâter quelques conversions qui se faisaient attendre. Mais je crois qu’ici encore, au dernier moment, il est revenu à la sagesse et à la modération. Nous en avons une preuve très curieuse dans une de ces harangues dévotes qui font la joie et l’admiration d’Eusèbe. Elle est très vive contre les païens ; il y rappelle longuement la dernière persécution, flétrit les violences exercées par Dioclétien et Galerius ; mais quand on s’attend qu’il va prononcer des paroles de vengeance, il s’arrête court pour nous dire « qu’il aurait bien voulu supprimer les cérémonies des temples et tout ce culte de ténèbres, s’il n’avait craint que l’affection de certaines gens pour des erreurs coupables ne fût trop ancrée dans leurs cœurs. » Il se résigne donc à souffrir ce qu’on ne pourrait empêcher sans violences. « Qu’ils gardent leurs temples de mensonge, puisqu’ils y tiennent ; nous autres, nous conserverons cette éclatante maison de vérité que nous tenons de Dieu. » Et voici quelle est la conclusion véritable du discours, qui ne répond guère aux emportemens du début : « Personne n’en doit gêner un autre, et chacun peut faire comme il l’entend. » Ainsi, l’édit de Milan n’est pas déchiré, la tolérance, en principe au moins, existe encore ; mais à ce ton de mauvaise humeur, à ces injures, à ces menaces, on sent bien qu’elle est fort compromise. Ce sont comme les grondemens d’un orage qui approche et qui ne tardera pas à éclater.