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ne peut faire des expériences in anima vili, etc. Toutes ces maximes de la vieille sagesse apparaissaient avec un prestige tout particulier, venant d’un penseur si dépouillé de préjugés. C’est par lui que ces idées ont été introduites dans la politique démocratique, en en tempérant les ambitions exagérées ; et, en ce sens, on peut dire que l’opportunisme a été une des applications du positivisme.


IV

Indépendamment de l’écrit précédent que nous venons d’analyser, nous devons signaler encore un autre écrit, peu connu, de la jeunesse d’Auguste Comte, antérieur à la publication de son grand cours, et qui date de 1825. C’est un travail inséré dans le Producteur, la première revue saint-simonienne, et qui porte pour titre : Considérations sur la science et les savans. Cet écrit contient à peu près les mêmes idées que le travail précédent, et les mêmes généralités que le Cours de philosophie positive. Ce que nous y remarquerons cependant comme particulièrement intéressant, et comme un témoignage aussi de la tolérance d’esprit d’Auguste Comte, c’est que, bien loin de chercher à déprécier la théologie et la métaphysique au profit du système positif, comme le font encore aujourd’hui les positivistes vulgaires, il est bien plus préoccupé de justifier à son point de vue ces deux grandes applications de l’esprit. Il est vrai que c’est parce qu’il est tellement convaincu de leur chute définitive et de leur abandon universel, qu’il croit sans danger de leur rendre justice ; c’est par une sorte de pitié plutôt que par une véritable sympathie qu’il cherche à expliquer dans le passé le rôle utile et même nécessaire de la théologie et de la métaphysique. Quel que soit le motif qui l’anime, voyons cependant comment l’apôtre du positivisme essaie de justifier ces deux grandes conceptions de l’esprit humain. La raison principale qu’il fait valoir, c’est que l’imagination doit précéder l’usage de l’observation. La méthode positive est certainement la base solide de toutes nos connaissances ; mais si l’observation est le plus sûr des procédés, il en est aussi le plus lent. Les lois naturelles les plus simples sont celles dont la découverte exige le plus de temps. D’un autre côté, l’empirisme absolu est impossible. L’homme est incapable de se donner la peine de combiner des faits et d’en tirer les conséquences, s’il ne les rattache à quelque explication. Il est donc certain que les facultés humaines seraient restées dans un engourdissement indéfini s’il eût fallu attendre pour raisonner sur les faits que leur liaison ressortit de l’observation même. Ainsi, les premiers