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même des besoins de la circulation. Le désir d’assurer un débouché à l’argent américain ne doit pas entraîner le congrès à mésuser de ses pouvoirs constitutionnels, à en dénaturer l’objet. Or, il est certain que les fabrications ordonnées par la loi de 1878 ne sont pas nécessaires aux échanges. En effet, sur 215,759,131 dollars d’argent qui ont été frappés, 50 millions de dollars seulement sont entrés dans la circulation. Plus de 165 millions de dollars restent en la possession du gouvernement, qui a dû affecter des sommes considérables à la construction des caves dans lesquelles ils sont déposés. Enfin, l’émission des certificats d’argent ne dépasse pas 93 millions de dollars. Néanmoins, chaque mois, la trésorerie est tenue de dépenser 2 millions de dollars en or pour acheter de l’argent, qui vient encore augmenter cette masse de métal.

Le résultat final de ces opérations, si l’on n’y met un terme, sera de substituer l’argent à l’or dans les encaisses du trésor. Pour combler les vides produits par le drainage de l’or, il ne faut pas compter sur les recettes douanières, puisque l’argent a cours légal. En fait, durant le dernier semestre, les droits de douane ont été payés jusqu’à concurrence de 58 pour 100 en argent ou en certificats d’argent ; cette proportion ne peut manquer de s’accroître.

Lorsque l’or aura été écarté de la circulation, on se rendra compte de la valeur différente du dollar d’or et du dollar d’argent. Ces deux monnaies cesseront d’être au pair. L’or, qui est encore l’étalon des valeurs, l’or qui nous est nécessaire dans nos échanges avec l’étranger, fera prime sur l’argent ; les banques achèteront, avec l’or déposé dans leurs caisses, de l’argent qu’elles rembourseront aux déposans, et réaliseront ainsi de fortes primes. Les riches spéculateurs accapareront l’or et le vendront à un prix ruineux aux commerçans qui en auront besoin pour solder leurs achats à l’extérieur. Le dollar payé à l’ouvrier pour son salaire n’aura plus le même pouvoir d’achat. Les paroles prononcées au sénat en 1834 par Daniel Webster n’ont pas cessé d’être vraies : « De toutes les classes de la nation, la plus intéressée à ce que la circulation soit bonne, celle qui souffre le plus des erreurs de la législation en matière monétaire, c’est la classe qui gagne son pain quotidien par son labeur quotidien. »

A voir, en décembre 1885, l’animation toujours croissante dans le pays et les positions de combat prises au sein du congrès par les groupes opposés, on devait s’attendre à un choc violent et décisif pour l’année suivante. Il en fut autrement ; on constata, en 1886, une sorte d’apaisement à la surface, l’hostilité ne se manifesta que par des votes contradictoires et des motions qu’on évita de discuter. La tactique des silvermen en ces derniers temps parait avoir été de mettre l’état dans l’impossibilité de remplir ses engagemens