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VI

Il faut résumer et conclure. Deux faits me paraissent incontestables dès à présent : le métal or existe dans le monde en quantité correspondante aux besoins du grand commerce, et le disponible sera augmenté d’année en année par une production montant déjà de 500 à 600 millions de francs. Cette richesse métallique a d’ailleurs pour auxiliaires la circulation fiduciaire et les merveilleux procédés du change, sans cesse perfectionnés, par les banques. Le métal argent est fourni depuis vingt ans par des mines dont on ne prévoit pas l’épuisement, et sa surabondance dépasse tellement les besoins qu’il n’est plus possible de lui conserver son ancienne valeur ; l’or, de plus en plus utilisé, rend l’argent de moins en moins utile. S’il arrivait, comme on l’a proposé, que le 15 1/2 fût consacré par un pacte universel, et que tous les ateliers monétaires fussent ouverts au libre monnayage de l’argent, on aurait bientôt à subir un enchérissement de toutes choses, marchandises et services, qui rappellerait la période funeste des assignats.

L’espoir de convertir tous les peuples au bimétallisme est un rêve. Jamais on ne verra la nation britannique renoncer au système monétaire qui a été un des instrumens de sa prospérité ; jamais on ne verra le parlement, la banque, la cité se mettre d’accord pour attribuer du jour au lendemain à l’argent, qui n’est plus marchandise exportable, une plus-value soudaine de 30 pour 100. La situation embarrassée de l’Inde sera examinée de plus près ; on reconnaîtra que l’étalon d’argent, imposé à ce pays à l’exclusion de l’or, a été, de la part de l’Angleterre, une aberration économique comme l’Union latine pour la France, et on amènera quelque évolution monétaire qui fera rentrer peu à peu le commerce indien dans l’équilibre général. Quant à l’Allemagne, elle est pour ainsi dire inféodée à l’étalon d’or ; c’est un des liens employés dans l’œuvre de son unification politique, et elle ne s’en trouve pas mal commercialement. Aux États-Unis enfin, où la bataille des deux métaux est fortement engagée, il est facile d’en prévoir l’issue. Les silvermen ont les yeux sur la commission royale qui siège à Londres ; là est placé leur dernier espoir. Dès que ce tribunal aura prononcé son jugement, dès qu’il aura déclaré que le relèvement de d’argent, par voie diplomatique est chose impossible, la situation des bimétallistes de Washington ne sera plus tenable : la révocation du Bland-bill aura lieu. Il en résultera au premier moment un sauve-qui-peut dans le monde des affaires, bien dangereux pour les pays qui n’auront pas prévu cette secousse ou qui n’auront pu réformer à temps leur mécanisme monétaire.