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la même planche que la Bible de famille, entre le Common frayer book et le Livre de cuisine. C’est un traité sur la pêche, agréablement dramatisé sous forme de dialogue, qui se propose un but d’édification autant que d’amusement, un livre fait à l’image de son auteur et comme lui tout innocence. Je ne connais, dans aucune littérature, d’homme qui inspire plus invinciblement le respect que ce candide Isaac Walton. Une âme toute blanche, sans artifice aucun d’écrivain, qui croit à la vertu, à la morale, à la religion et en parle naïvement, comme si c’était arrivé, pour employer le langage de nos jours. Il était si naturellement bien né que, laissé orphelin tout jeune et élevé dans la profession fort bourgeoise de mercier, on le voit aller de lui-même, comme par un mouvement instinctif et inconscient, vers la société des plus honnêtes gens, des plus lettrés, et même des plus nobles, dignitaires ecclésiastiques, diplomates, poètes, lui inconnu et sans titre aucun; et ce qu’il y a de plus étrange, c’est qu’il conquiert leur amitié d’emblée, sans effort, et qu’il est reçu parmi eux sans le plus petit étonnement. Il a été l’ami de Ben Jonson, de Michel Drayton, de Donne, de George Herbert, de sir Henri Wotton. En reconnaissance de leur amitié, il a écrit les biographies de plusieurs d’entre eux, œuvres d’un art tout naïf, exquises par la sincérité et l’amour de tout ce qui est honnête. Lisez dans ces biographies les récits de songes et d’apparitions qui sont racontés avec un te! caractère de bonne foi, que non-seulement on voit que l’auteur ne doute pas de leur vérité, mais que l’idée ne lui vient même pas de chercher s’il y aurait à ces étrangetés des explications autres que merveilleuses.

Après Camden, il n’y a pas, au XVIIe siècle anglais, d’érudit supérieur à sir William Dugdale, l’auteur du Monasticon anglicanum, le généalogiste de l’aristocratie anglaise, l’historien de la cathédrale de Saint-Paul. Or, nous trouvons ce grave érudit, dans le livre de John Aubrey, aussi croyant aux apparitions que l’éloquent sir Thomas Browne l’était aux sorcières, et tout disposé à en attester l’authenticité sous serment, si cela était nécessaire. Il est un des cinq ou six témoins qui ont certifié l’apparition de sir George Villiers, le père du duc de Buckingham, Nous l’avons vu raconter à Aubrey comment lord Middleton avait été informé, par un voyant écossais, de la manière dont tourneraient les événemens révolutionnaires. Il racontait encore que ce même lord Middleton avait fait, avec un de ses amis d’Ecosse, lord Bocconi, la convention que celui qui mourrait le premier viendrait donner à l’autre des nouvelles du par-delà, et lui porter aide s’il en avait besoin. Middleton, ayant été fait prisonnier au combat de Worcester, fut enfermé soigneusement sous trois serrures à la tour de Londres. Comme il était un soir dans son